Si Metal Gear Solid est la série d’infiltration par excellence, elle n’est désormais plus sur le devant de la scène vidéoludique depuis le divorce sanglant d’Hideo Kojima et Konami. Et même si ça n’avait pas été le cas, il aurait été peu probable que les épisodes de la série parviennent un jour sur Nintendo Switch, malgré un épisode exclusif de la série sorti sur GameCube 15 ans auparavant. C’est probablement en partie pour cela que le studio Lince Works a opté pour un portage de son ténébreux Aragami sur la console hybride. De retour après une sortie initiale en octobre 2016, Aragami débarque sur Switch dans sa Shadow Edition proposant un contenu étendu par rapport à la version de base. Comment se déroule la quête obscure de l’Aragami dans cette version Switch ?
Aragami no Sekai
Soyons clairs, Aragami : Shadow Edition n’est pas un paisible voyage au coeur de la nuit mais une quête sanglante, noire et glaçante. Vous êtes l’Aragami, un esprit vengeur invoqué par Yamiko, une jeune femme prisonnière de l’armée Kaiho. Ces nobles adeptes de la Lumière forment une des armées les plus puissantes de ce Japon fantastique créé par Lince Works et dans lequel l’action prend place. Yamiko implore alors l’Aragami de l’aider à s’enfuir de sa prison et de la mort certaine qui l’attend : pour cela, il devra trouver les différents talismans maintenant la barrière magique retenant la jeune femme contre son gré. Mais la tâche ne sera pas aisée car ces objets magiques sont farouchement défendus par les soldats de Kaiho qui n’hésitent jamais à faire couler le sang pour parvenir à leurs fins. Aragami : Shadow Edition propose ainsi une vision intéressante du classique duel “Lumière contre Ténèbres” où aucun camp ne remplit le rôle banal de “gentil” ou de “méchant” et se concentre plutôt sur son protagoniste en pleine recherche d’identité, la mémoire lui faisant défaut après son invocation par la jeune Yamiko.
Etant une incarnation de ténèbres, le joueur est effroyablement vulnérable à toute forme de lumière, naturelle ou non. Une simple lanterne vous affecte et risque de vous rendre extrêmement vulnérable face aux soldats de Kaiho qui manipulent extrêmement bien cet élément fatal qui vous tuera dès que vous en subirez une attaque. Mais vous n’êtes pas non plus sans défense car l’Aragami est tout de même une redoutable figure vengeresse, manipulatrice des ombres et maîtresse de techniques d’assassinat millénaires qui vous rendront un fier service dans votre mission.
Comme je l’avais évoqué dans l’introduction de ce test, Aragami : Shadow Edition est avant tout un jeu d’infiltration : le joueur doit arpenter les différents environnements sans se faire repérer par les multiples gardes qui rôdent, épée à la main et prêts à la dégainer au moindre bruit suspect. Fort heureusement, vous disposez de quelques techniques de base dont la plus importante est une sorte de téléportation qui vous permet de rejoindre instantanément les zones d’ombre les plus proches. Cette même technique s’applique également pour escalader des rebords à l’abri de la lumière et vous permet ainsi de prendre aisément de la hauteur pour mieux appréhender votre environnement immédiat. En revanche, l’utilisation de cette technique consomme une part non négligeable de votre Essence des Ombres qui ne se rechargera qu’à la condition d’être vous-même plongé dans l’ombre. La quantité d’Essence est indiquée d’une manière originale dans la mesure où la cape écarlate de votre protagoniste fait office de jauge.
Par ailleurs, profitons en pour discuter du rendu visuel d’Aragami : malgré un aliasing très prononcé sur cette édition Switch, le jeu propose des environnements soignés et colorés avec de beaux effets de luminosité qui emmènent instantanément le joueur au coeur de la quête de l’Aragami et de Yamiko. Avec un cel-shading coloré à mi-chemin entre Okami et The Legend of Zelda : Wind Waker, Aragami peut se targuer de proposer des visuels plaisants.
Valar Morghulis
Mais l’Aragami n’est pas une simple ombre traversant la nuit au vu et au sus des vivants, mais est avant tout une entité obscure, née de la colère de son invocateur (l’invocatrice dans le cas présent) et douée d’une formidable aptitude au meurtre. Outre le sabre que vous porterez en permanence à votre ceinture, de nouvelles techniques d’assassinat pourront être apprises à condition que vous obteniez suffisamment de points de compétences en récoltant les parchemins cachés ça et là lors de votre infiltration. Vous pourrez ainsi éliminer les cibles à distance avec un Kunai mortel ou poser un piège de ténèbres fatal à quiconque traversera la rune que vous aurez posée.
Mais une fois encore, Aragami : Shadow Edition se rapproche de la philosophie de Metal Gear Solid en laissant au joueur le choix de tuer ou au contraire de laisser ses ennemis en paix. Bien que cette deuxième voie soit plus compliquée à emprunter, elle reste néanmoins possible et j’ai trouvé très plaisant de laisser un tel choix au joueur : éliminerez-vous chaque ennemi un à un pour vous laisser le champ libre ou chercherez-vous simplement à les éviter, quitte à mettre votre patience à rude épreuve ? Je parlais des techniques purement orientées vers le meurtre, mais des techniques non létales sont également disponibles : l’une vous confère une invisibilité temporaire tandis qu’une autre permet de poser un leurre pour détourner l’attention des soldats et vous permettre de passer sans encombre.Votre manière d’appréhender la zone influence votre score qui varie en fonction de votre discrétion. En clair, le choix est vôtre.
Il en résulte une bonne immersion dans la peau (?) de ce sombre protagoniste qui parvient à éveiller de curieux instincts chez le joueur : certains opteront pour une stratégie de grand nettoyage visant à éliminer toute menace tandis que d’autres préféreront épargner les gardes en se concentrant sur l’objectif en cours. L’une ou l’autre de ces stratégies vous fera gagner des points et c’est ce que j’ai beaucoup aimé chez Aragami : le choix est réel et pas seulement cosmétique. On peut réellement tenter de terminer l’aventure sans tuer qui que ce soit, un choix que je trouve pertinent de laisser aux joueurs. Ceci amène d’ailleurs un vrai défi, malgré les quelques problèmes que je vais aborder dans les paragraphes suivants.
Des finitions à apporter
Si les sensations sont globalement bonnes, il faut malheureusement reconnaître qu’elles sont parfois gâchées par la somme non négligeable de défauts qui parasitent l’expérience d’Aragami : Shadow Edition. Premièrement, l’intelligence artificielle. Dans un jeu d’infiltration, la capacité de vos ennemis à vous repérer est déterminante dans le choix de votre stratégie d’approche et se doit donc d’être particulièrement soignée, bien plus que dans d’autres jeux. Pourtant, l’IA d’Aragami est parfois sinistrement naïve : il m’est arrivé de très nombreuses fois d’être complètement à découvert sans que l’ennemi ne soit alerté, ce qui casse un peu l’impression d’être une ombre silencieuse infiltrée au sein des rangs de Kaiho. Si les archers vous donneront du fil à retordre avec leur vue plus développée (encore heureux) que les soldats marchant à pied, vous vous rendrez vite compte que ce sera bien la seule réelle difficulté à surmonter. Le manque flagrant de diversité dans les patterns des ennemis rend votre infiltration parfois monotone en raison de l’absence de cette angoisse saisissante qui vous tenait, par exemple, dans un Metal Gear quand un garde approchait.
Des finitions aurait également pu être apportées au niveau technique. Si la direction artistique est très réussie comme j’ai pu l’évoquer plus haut, on regrette néanmoins certains affichages assez grossiers, notamment dans la structure des arbres. De loin, les multiples sakura en fleurs sont plutôt engageant mais les choses se gâtent quand on s’en approche. La distance d’affichage est également à revoir : l’exemple le plus frappant est quand Yamiko s’adressa à l’Aragami en lui demandant : “Aragami, vois-tu la tour là bas au loin ?“. J’ai été quelque peu étonné que le protagoniste réponde par l’affirmative alors que la tour en question n’était nul part dans mon champ de vision et c’est uniquement quand j’ai effectué une bonne dizaine de mètres que j’ai enfin vu l’édifice ! Le framerate est également quelque peu erratique avec des baisses souvent inopinées.
Un autre problème se situe au niveau du level-design général du jeu : la plupart sont construits intelligemment mais l’absence totale de carte et de marqueurs d’objectif rendent l’exploration parfois très difficile et il ne sera pas rare de se perdre dans les multiples dédales qui vous attendent. On pourrait arguer que ceci fait partie de la difficulté du jeu, mais je répondrais qu’il s’agit d’une difficulté artificielle qui n’a rien à voir avec l’infiltration. Que la carte ne soit pas disponible lors de votre arrivée dans la zone, certes, mais on aurait sûrement pu imaginer qu’une carte se forme au fur et à mesure de votre exploration ou bien que le joueur puisse la trouver dans l’environnement en question, à la manière de ce qui se fait dans The Legend of Zelda. Quelques bugs sont d’ailleurs encore présents notamment dans la gestion de la caméra qui été prise à plusieurs reprises de crises d’hystérie assez impressionnantes durant mes parties.
Parler ainsi d’Aragami me fait beaucoup de peine : malgré ces défauts que j’ai listés, j’ai passé un bon moment aux côtés du héros et de Yamiko, mais il m’est impossible de passer à côté de ces aspects qui gâchent parfois le plaisir de jeu. Bien sûr, il faut comprendre qu’Aragami n’est pas un jeu à gros budget à l’image des AAA : il s’agit à l’origine d’un projet étudiant. Sincèrement, j’admire les créateurs du jeu d’avoir eu le courage et la détermination de mener ce projet jusqu’à sa fin car malgré les quelques problèmes que j’ai pu relever, cela reste un très bon moment à passer au coeur de ce Japon ténébreux.
Un sombre voyage
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Résumé
Une sombre épopée au coeur d’un Japon fantastique où ombre et lumière, meurtre et miséricorde, trahison et rébellion se mélangent en un complexe ensemble qui fut difficile à décanter. En partant d’une solide base avec sa DA excellente et son gameplay très intéressant, Aragami : Shadow Edition aurait pu devenir un jeu excellent s’il n’avait pas été forcé de composer avec de nombreux défauts liés à son IA et à sa technique. Malheureusement, ces problèmes ont un réel impact sur le plaisir de jeu qui est pourtant bel et bien présent. Tout ce que je souhaite à Lince Works est qu’ils puissent corriger ces petits soucis pour nous sortir un Aragami 2 qui aurait le potentiel de signer un retour brillant des jeux d’infiltration !
LatoJuana a le chic pour me donner envie de jouer à chacun de ses jeux testés, alors que l’infiltration pour moi c’est quand Link échappe aux gardes du château
Je l’attendais impatiemment comme un Assassins Creed au temps des samouraïs, mais effectivement, tous ces défauts me refroidissent un peu… :-/
Vivement qu’Ubisoft nous sortent un vrai Assassins Creed dans le Japon médiéval comme Origins out Odyssée.
S’il y a un jour un Assassins Creed dans le Japon médiéval, je me demande quel sous titre ils vont choisir. Assassins Creed Ombre ? Assassins Creed Ominous ? Il faut un mot qui commence par O ! lol
Un grand merci pour ce test constructif. J’hésitais à me le prendre et les défauts énoncés sont assez agaçants pour un jeu d’infiltration. Dommage, on est passé à côté d’un excellent jeu d’infiltration !