Dans une réalité alternative où les Nazis ont remporté la seconde guerre mondiale et dominent désormais l’Europe entière, un nom fait frémir les adorateurs d’Adolf Hitler : Blazkowicz. Affectueusement surnommé Blazko le Barjo, William “B.J” Blazkowicz fut un des éléments déterminants dans la libération des Etats-Unis du joug nazi dans Wolfenstein : The New Order et Wolfenstein II : The New Colossus. Vingt ans après les évènements narrés dans ces deux titres et la mort d’Hitler, le vieux soldat n’a pas le temps de se reposer car le Troisième Reich continue de régner d’une main de fer sur le reste du monde et particulièrement en Europe. Un an après la parution de Wolfenstein II : The New Colossus sur Nintendo Switch grâce aux bons soins de Panic Button et Bethesda, la lutte reprend sur la console hybride avec Wolfenstein : Youngblood qui promet de massacrer des nazis en coopération ainsi que dans la joie et la bonne humeur : pari réussi ?
Romulus et Remus
Première originalité de ce Youngblood, nous n’incarnons non pas William Blazkowicz, mais ses deux filles Jessica et Sophia (ou Jess et Soph pour les intimes). Élevées dans l’admiration de leurs parents et en contact direct avec la réalité de cette uchronie, les deux jeunes femmes suivent depuis leur enfance un rigoureux entraînement à l’art du combat. Loin d’être délicates, Jess et Soph n’ont qu’une hâte : mettre leur talent à l’épreuve et dézinguer le plus de nazis possibles. Leur souhait est rapidement réalisé quand leur père adoré disparaît mystérieusement après avoir été vu pour la dernière fois à Paris, désormais nommé Paristadt depuis l’Occupation qu’elle subit. Ni une, ni deux, les deux soeurs (jumelles au passage) embarquent dans un hélicoptère volé au FBI en compagnie de leur amie Abby pour retrouver leur père dans la capitale française.
Dès le départ, Wolfenstein : Youngblood vous demande de choisir entre une des deux jumelles, l’autre étant dirigée par un ami. Car oui, LA nouveauté majeure de ce nouvel opus est la possibilité de faire l’intégralité de l’aventure en coopération online ! A noter que le choix de la jumelle et des quelques autres options est tout à fait cosmétique vu que les deux soeurs partageront le même arsenal durant l’aventure. Seule petite différence : vous commencerez avec un pistolet de base différent selon votre choix, mais vous trouverez l’autre exemplaire très rapidement au fil de la progression. Plus fort encore, il est possible d’inviter un joueur à partager votre aventure même si ce dernier ne possède pas le jeu grâce au Buddy Pass présent dans l’édition Deluxe du jeu. Une excellente idée qui permet ainsi de traverser les rues parisiennes infestées de nazis grâce à quelqu’un de confiance. Pas de panique si vous ne trouvez personne pour vous accompagner dans cette dangereuse mission puisque l’autre jumelle sera contrôlée par l’intelligence artificielle en offline.
Cependant, je ne recommanderais pas forcément cette option : d’une part car il serait dommage de jouer seul, d’autre part à cause de la stupidité navrante de la jumelle. Aussi utile qu’un vote de citoyen lors d’une élection présidentielle russe, l’IA dirigeant votre alliée se contente de tirer à tout va et de vous suivre comme un chien, entraînant souvent la détection immédiate du duo par les ennemis environnants. Wolfenstein : Youngblood montre certes tout son potentiel dans le jeu en coopération avec un autre participant mais ce n’est pas une raison pour faire de l’IA une potiche sans cervelle. Une fonctionnalité intéressante du duo est que les soeurs partagent un système de vies communes. En clair, vous disposez de trois vies pour les deux personnages et non de trois vies chacun. La coopération devient d’autant plus importante que vous pouvez aider votre jumelle lorsque celle-ci perd tout ses points de vie : si vous êtes assez rapide, vous serez en mesure de lui redonner un coup de fouet ce qui empêchera la perte d’une de vos précieuses vies partagées.
Du sang frais… et du moins frais
Si la tradition des Wolfenstein est bousculée par l’arrivée de ces deux donzelles en furie, on retrouve néanmoins le coeur du gameplay de la série. Là-dessus, rien à dire : on se replonge aisément dans cette vaste tuerie de nazis grâce aux armes lourdes en tous genres que vous trouverez sur votre route. Attendez-vous donc à un véritable et permanent déluge de sang sur votre écran : entre les effusions sanguines, les têtes explosées et les membres arrachés, mieux vaut avoir le coeur bien accroché lorsqu’on lance une partie.
J’ai fini par ressentir un certain malaise à force de meurtres sauvages surtout dans les niveaux en intérieur : les vagues successives d’ennemis s’enchaînent avec frénésie et une sensation pas forcément agréable s’est emparée de moi au fur et à mesure que le tas de cadavres grandissait. Certains objecteront qu’il s’agit d’un jeu vidéo et non, dieu merci, de la réalité mais je ne recommande en aucun cas ce titre aux plus sensibles. Pour ceux arrivant à mieux faire la part des choses que moi, vous serez sans doute grisés par la rapidité des affrontements et l’enchaînement fluide des niveaux qui font le sel de Wolfenstein : Youngblood. Passer d’une arme à une autre est d’une simplicité enfantine et on apprécie volontiers de pouvoir utiliser une arme laser aussi bien pour faire fondre des portes que pour désintégrer un agent de la Gestapo.
À propos de fluide, l’heure est venue d’aborder un point qui fait tâche : l’aspect technique. Si le producteur exécutif du projet avait qualifié l’arrivée de Youngblood sur Switch de “miracle“, il convient de tempérer un peu ses propos. Que la console de Nintendo soit capable d’accueillir un jeu de cette trempe est certes une excellente chose, mais à quel prix ? Si je ne suis pas spécialement regardant sur les graphismes de manière générale, je me dois quand même de noter le flou omniprésent du jeu ainsi que la laideur crasse de la plupart des textures. Les ennemis éloignés se déplacent avec un framerate parfois si bas que je peux compter les images et ce ne sont pas les visages et les cheveux à la qualité plus que douteuses qui me donnent envie de visionner les cutscenes à nouveau.
Soyons honnête : Youngblood n’est pas bien joli sur Switch. D’un autre côté, on finit par être habitué avec Panic Button qui sort généralement un patch technique dans les semaines suivant la sortie d’une de leurs productions, alors nul doute que le résultat sera un peu mieux d’ici là. En fin de compte, le jeu reste jouable globalement encore que certains ennemis soient parfois difficiles à discerner dans l’amas de pixels qu’affichent occasionnellement les décors. En mode portable, le flou est encore plus présent ce qui n’en fait pas le format le plus recommandé pour exploser du nazi à moins que le patch susmentionné ne soit suffisant à l’avenir pour envisager une expérience sur Nintendo Switch Lite.
Youngblood and Newblood
L’autre grande nouveauté de ce Youngblood est l’ajout de multiples composantes RPG en plus de celles déjà existantes dans les précédents Wolfenstein. Désormais, les jumelles gagnent des niveaux ce qui est synonyme de gain de points de compétence à dépenser pour renforcer vos héroïnes. Vous pourrez ainsi augmenter votre barre de vie et votre barre d’armure mais aussi acquérir toutes sortes d’aptitudes qui vous aideront à envoyer vos adversaires rôtir en enfer. Parmi ces aptitudes, on note l’arrivée des Signes : en appuyant sur le haut de la croix directionnelle, votre personnage fait un petit signe de la main à sa jumelle pour motiver cette dernière. Ce regain de combativité se traduit par divers bonus qui s’appliquent aux deux moitiés du duo et qui consistent généralement en un surplus de soin, de protection ou d’autres améliorations.
Autre faculté inédite : les pouvoirs. Assignés cette fois-ci au bas de la croix, les trois pouvoirs du jeu sont des aptitudes surnaturelles qui ont également pour vocation de faciliter votre progression. L’invisibilité vous permettra de traverser les lignes ennemies si vous préférez éviter le conflit tandis que le placage (déjà existant dans les précédents Wolfenstein) renversera les inconscients qui auront cru pouvoir se mettre sur votre chemin. Un troisième pouvoir est à débloquer après avoir suffisamment avancé dans l’aventure. En plus de ces améliorations spécifiques à votre personnage, la customisation des armes fait son retour avec la possibilité de renforcer l’intégralité de votre arsenal : besoin d’une lunette de visée sur votre petit pistolet ? Sans problème ! Un chargeur plus grand ? Il n’y a qu’à demander ! Tout ce dont vous aurez besoin en échange est une quantité suffisante de pièces d’argent que vous trouverez littéralement à chaque coin de rue dans les niveaux que vous parcourrez.
D’ailleurs, un point très intéressant de Youngblood est la possibilité de réaliser les missions principales de plusieurs manières différentes. L’intrigue majeure consiste en premier lieu à infiltrer les trois tours Frères qui représentent les quartiers généraux de la Gestapo. Si votre coeur penche pour les bastons survoltées, vous pouvez bien entendu foncer dans le tas et massacrer tous vos opposants avec votre soeur. En revanche, si vous estimez ne pas être en mesure de le faire, vous pouvez opter pour une stratégie plus discrète et tenter de trouver un autre chemin pour pénétrer dans la tour visée. Bien que le résultat débouche toujours sur une vaste tuerie, ce choix d’approche reste une mesure très appréciable de la part de Bethesda et qui plaira assurément aux joueurs.
Youngblood : entre langue de vipère et platitude
A ce sujet : si la technique de Youngblood ne le fait pas briller, j’ai tout de même réellement apprécié les décors créés pour cette uchronie. Parcourir les rues parisiennes recouvertes de croix gammées avait quelque chose de saisissant, presque malsain et cette sensation reflète clairement la qualité de l’ambiance du jeu. Entre les messages de propagandes du Reich et les aigles impériaux omniprésents, on ressent réellement la présence nazie en France. Il est dommage de ne jamais apercevoir quelques éléments réellement iconiques de notre belle capitale en dehors des immeubles haussmanniens et des kiosques à journaux. De ce point de vue, la mise en scène est de fait plutôt réussie et gomme en partie le comportement insupportable de Jess et Soph.
C’est là une autre de mes déceptions vis-à-vis de Youngblood : la qualité d’écriture des personnages a pris un sacré coup. Si j’avais adoré dézinguer les rangs du Führer aux côtés de William Blazkowicz dans les deux premiers opus de la série, les filles de notre héros ne sont que deux pimbêches mal élevées. Il est ainsi navrant de constater que 99% du vocabulaire des jumelles se compose de “Bordel de merde” et de “On va tuer ces putains de nazis“. Effectivement, nous incarnons “les héritières de l’homme qui a tué ce putain d’Adolf Hitler“, Abby ayant pris soin de nous le rappeler une bonne douzaine de fois rien que durant la première heure de jeu, mais j’attendais une personnalité un peu plus travaillée pour les filles de notre cher Blazko le Barjo. Bethesda semble avoir confondu deux notions pour donner un semblant de charisme aux deux protagonistes de cette aventure : au lieu de deux jeunes guerrières, on se retrouve avec un duo vulgaire au possible. Les vannes que se lancent Jess et Soph se résument essentiellement à “Montre moi ce que tu as dans la culotte !” et semblent plutôt symptômes d’un intellect curieusement bas et d’une drôle d’éducation qu’une attitude réellement badass chez ces deux dernières.
Pire encore, aucune nuance ne vient distinguer les deux jumelles autrement que dans leur apparence physique : les deux jeunes femmes ne rêvent que de massacrer du nazi et font plutôt penser à deux psychopathes évadés de l’asile qu’à un duo d’héroïnes incarnant la Résistance. On aurait pu imaginer que l’une soit plus réservée ou plus froide que l’autre, quitte à tomber dans le cliché mais au moins pour éviter cette paire de folles furieuses. Les personnages avides de sang peuvent avoir leur charme, mais quand ils se définissent par autre chose, surtout pour les femmes. Bayonetta est assurément aussi folle que Jess et Soph, mais aucune de ces deux dernières n’atteint le niveau de charisme de la sorcière de l’Umbra malgré un caractère au moins aussi fort. Au-delà même des deux personnages principaux, la narration de Youngblood est parfois navrante de platitude. Entendre une description des châtiments infligés aux opposants par la Gestapo se conclure par un “C’est vraiment très triste.” m’a amené à me demander si les développeurs ne nous prenaient pas sérieusement pour des billes.
Enttäuschung
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Résumé
Avoir Wolfenstein : Youngblood sur Nintendo Switch est une excellente chose. L’avoir en même temps que les autres plateformes l’est également. Mais peut-être aurait-il mieux valu décaler la sortie de cette version Switch pour laisser le temps à Panic Button de l’optimiser comme ils savent si bien le faire. Et même en mettant de côté l’aspect purement technique (un patch étant certainement en chemin), Youngblood reste handicapé par une narration plate menée par un duo d’héroïnes plus vulgaires que badass qui ne rendent pas justice à leur père. Néanmoins, je retiens une ambiance encore une fois marquante grâce à une mise en scène réussie de la domination nazie sur Paris et surtout la possibilité de réaliser toute l’aventure en coopération qui est un véritable plaisir à vivre avec un ami.
Les +
- Une ambiance marquante
- Un gameplay efficace et nerveux
- Plusieurs possibilités pour accomplir les quêtes
- L’aspect coopération très sympa
- Des composantes RPG intéressantes
Les -
- Une technique vraiment en deçà
- Deux héroïnes vulgaires et superficielles
- Une intelligence artificielle alliée diablement stupide
- Une narration souvent plate et insipide
On peut s’attendre à un patch dans 2 mois. Comme toujours avec Panic Button.