Née au cours d’une époque magnifique de néons, de moquette, de jeans trop larges et d’instabilités politiques indénombrables, la série Streets of Rage pouvait, au yeux du grand public, être régulièrement la cible d’amalgame avec Street Fighter pour nombre de joueurs. Pourtant radicalement différente, les choses ont changé et 2020 devrait au moins nous épargner cet écueil. En effet, d’une part, la licence concurrente de Capcom a continué d’exister avec une popularité grandissante, et d’autre part les francophones ont progressé en anglais, faisant maintenant bien la différence entre Street et StreetS, rien qu’à l’oreille. Merci à toi, 2020, puisque jusqu’ici on ne peut pas dire que tu aie été la meilleure année que l’on ait connue. Et c’est peut-être là, finalement, qu’est la chance de ce Streets of Rage 4 ! Arrivant à une période durant laquelle joueurs assidus et néophytes se retrouvent sur le besoin de se faire du bien, soit avec un ton léger comme en témoignent les ventes d’Animal Crossing, soit de la nostalgie, matérialisée par les ventes de Final Fantasy VII Remake (oui, j’ai osé), ce nouvel opus de la série arrive peut-être, au bout du compte, exactement quand il faut.
Pour ma part, Streets of Rage évoque ces soirées d’enfance, chez des amis de mes parents, dont la descendance avait parfois d’autres jeux que les miens sur leur MegaDrive, avec occasionnellement la bonne surprise qu’ils soient l’une des trois itérations du jeu dont il est question aujourd’hui. Ainsi, si je suis dans l’incapacité de certifier avoir fini l’un d’entre eux, je vais essayer de raviver mes souvenirs à coups de poing et tenter de démêler l’euphorie de ces soirées du vendredi ou du samedi, afin de déterminer si ce Streets of Rage 4 est à la hauteur de mes précieux souvenirs. La tâche sera ardue pour le titre de Lizard Cube, DOT EMU et Guard Crush Games, tant ces fameux moments pendant lesquels mes parents m’oubliaient le temps de quelques heures, me laissant jouer jusqu’au bout la nuit, sont chers à mon petit cœur d’enfant.
Quand l’artistique se fait direction
Cela n’aura échappé à personne, la direction artistique de haute volée rend hommage aux trois opus sortis dans les années 90 de la meilleure des manières : avec justesse. Non content d’avoir des crayonnées magnifiques, le jeu peut se vanter du rendu de ces derniers, et de leurs animations très détaillées qui rend l’ensemble beau, harmonieux et dynamique. Si l’on peut éventuellement trouver que le nombre d’ennemis n’est pas très varié, les douzes stages possèdent chacun leur propre identité. Il faut saluer l’effort, d’autant que l’exercice n’est pas facile lorsque l’action prend place dans une seule et unique ville américaine, aussi grandes puissent-elles être. A propos du scénario, on reste également dans le moule d’origine, à savoir les descendants d’un syndicat du crime déjà molesté lors des opus précédents que l’on doit de nouveau contrecarrer. Si de petites scénettes font le lien entre les niveaux avec de beaux écrans figés, rien de transcendant, mais ce n’est pas pour ça que l’on est là.
Streets Fighter of Rage IV
Alors que j’évoquais en introduction un amalgame notable entre la série bien connue Street Fighter de Capcom et les différents opus de ce Streets of Rage 4, force est de constater qu’elle n’en a jamais été proche en terme de gameplay. En effet, composé à la base de 4 personnages puis étoffé par 10 autres que l’on peut débloquer au cours de parties endiablées, le casting nous impose des choix de style de combat marqués : tandis qu’Axel sera un combattant équilibré, Blaze sera moins forte mais plus rapide, Cherry aura une mobilité accrue mais des dégâts moindres, et Floyd sera le plus fort mais aussi le plus lent. Si l’on pourrait les comparer à Ryu, Cammy, Karin et Zangief (entre autres), il faut néanmoins nuancer le parallèle avec le jeu de combat d’Osaka, qui s’arrête ici. En effet, dans Street of Rage 4, point de dash (sauf pour un personnage caché), de air dash, de counter, de double saut ou de air counter… la bagarre est réduite à sa plus simple expression : un coup simple (Y), un coup puissant (maintenez Y), un coup blitz (avant avant Y), un coup spécial défensif (X), un coup spécial en mouvement (direction avec X), une attaque étoile (X+A), une saisie (Y), un saut (B) et un ramassage d’objets (A). Si la liste, à l’écrit, peut paraître longue, c’est globalement assez peu pour un beat them up moderne, mais reste dans l’esprit général de la confection du jeu : entre tradition et modernité (#Japon™).
Si l’on pouvait s’inquiéter du nombre total de stages total, soit 12, le joueur solo que je suis n’en fut pas offusqué le moins du monde. Comme évoqué précédemment, ils sont variés, offrant généralement une durée de vie d’environ 5 à 10 minutes, et chacun un mini boss et un boss. Si d’une part il y a peu de chances pour que vous les finissiez tous à la première tentative, sachez que les compétiteurs les plus assidus d’entre vous seront aux anges de savoir qu’un système de scoring absolument délicieux a été mis en place. Entendons nous bien, ce qualificatif ne vaut que pour les joueurs qui aiment courir après le score, les autres l’ignoreront et se contenteront de finir les niveaux seuls ou entre amis (jusqu’à 4, en local ou en ligne).
Votre performance, dont le premier vecteur est votre capacité à vous placer par rapport aux ennemis, car le coeur de Streets of Rage 4 se situe bel et bien là, sera réévaluée là hausse, avec comme base votre score qui est affiché en haut de l’écran. Après le niveau, des points supplémentaires seront accordés selon le temps que vous avez mis à conclure le stage, mais aussi la santé et le nombre d’étoiles qu’il vous reste. Ces dernières, dont une vous est donnée gracieusement en début de niveau, sont en nombre limité et servent à déclencher les… attaques étoiles. Maintenant que nous avons fait le deuil de l’originalité, vous devez savoir que votre score sera ainsi classé selon les conventions internationales de la Tier List, à savoir parmi les lettres suivantes : D, C, B, A et S.
Si vous pensez pouvoir, comme dans nombre de jeux actuels, accéder aux rangs B, A, voir S avec quelques petits efforts, sachez que Streets of Rage 4 nous rappelle ici son ADN hérité des années 90. Chaque parcelle de vie, chaque seconde et chaque étoile sera la différence entre une performance médiocre ou une performance honnête, et les trois réunis seront la clé vers le sacro-saint rang S. Votre serviteur (moi), peu versé dans le scoring mais néanmoins plutôt dégourdi avec une manette, doit vous avouer avec beaucoup d’humilité qu’une grosse dose de concentration et un peu de sueur ne m’ont permis d’atteindre que le rang A sur certains stages. Enfin, sachez que ces scores sont partageables en ligne, et que vous pourrez comparer les vôtres avec le monde entier ou seulement celui de vos amis.
Pour finir à propos du système de jeu, on ne pouvait oblitérer les fameux objets précités il y a deux paragraphes, iconiques de la série. Au rendez-vous, couteaux, battes de baseball, tuyaux et masses d’arme, pour le plus grand bonheur de tous les bagarreurs de rues que nous sommes. Gare à vous néanmoins si vous comptez les laisser aux mains des ennemis, car ceux-ci en feront usage de fort belle manière, et iront même jusqu’à les ramasser quand elles traînent au sol dans l’aire de combat. Evidemment, en plus de les utiliser pour frapper plus fort qu’en temps normal, vous pourrez les lancer contre les hordes de voyous qui se dressent contre vous, point également crucial dans la gestion de votre placement et votre capacité à ne pas prendre de coups. Car si vous vous posiez la question, oui, la barre de vie descend très vite.
Entrée plat dessert
Alors que le mode histoire vous permettra de jouer les niveaux un à un, sans avoir besoin de recommencer l’ensemble du jeu, les plus doués (et un peu plus fous) d’entre vous pourront également tenter le mode arcade, qui ne vous laissera conclure votre épopée qu’avec un seul crédit. Pour compléter le menu du jeu, les développeurs ont aussi pensé à ajouter trois autres modes : choix du niveau, combat de boss et duel. Si les deux premiers sont assez explicites, entendez pour le troisième “duel entre joueurs”. Vous pourrez en effet vous battre en local contre l’insolent qui osera vous défier, dans l’arène de votre choix. Enfin, pour les plus pacifiques d’entre vous, une galerie d’extras vous permettra de vous replonger dans l’art du jeu, avec une sélection moyennement fournie d’esquisses conceptuelles du jeu, permettant de se rendre compte du soin apporté tout au long de la production.
Quand la musique est fade, fade, fade, fade…
La bande son de Streets of Rage 4 étant dirigée par le nouveau chouchou mondial (mais français) de la musique de jeu vidéo, Olivier Derivière (A Plague Tale, Remember Me, Of Orcs and Men…), également épaulé par les illustres Yûzô Koshiro (Streets of Rage, Shenmue, Kid Icarus…), Motohiro Kawashima (Streets of Rage, Shinobi II…) et surtout la légendaire Yôko Shimomura (Kingdom Hearts, Final Fantasy XV, Xenoblade Chronicles, Street Fighter II…), on pouvait espérer qu’elle soit le point d’orgue du jeu, le domaine qui mettrait tout le monde d’accord! Sauf que…
Si, en soit, “elle fait le taf”, on ne peut nier la déception qui ressort de ces compositions, relativement fades à la première écoute, et qui ne marquent que peu, même à force de répétitions. Pour ma part, je trouve que les compositeurs n’ont pas réussi à trouver l’équilibre entre respect de l’oeuvre originale et modernisation. Peut-être, simplement, attendais-je trop d’eux pour un jeu finalement aussi “simple et efficace”, alors que les deux d’entre eux dans lesquels je plaçais mes espoirs (Olivier Derivière et Yôko Shinomura) n’ont pas tant d’expérience dans le beat them up, mais plutôt dans des séries dont la mise en scène est centrale, comme le jeu d’aventure ou le RPG.
Il suffit d'avoir la rage
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Trois ans après leur premier coup d’éclat avec Wonder Boy : The Dragon’s Trap, les équipes de Lizard Cube, emmenées par leur directeur artistique Ben Fiquet, transforment l’essai et nous montrent qu’ils sont de ceux sur lesquels on peut compter lorsqu’il s’agit de dépoussiérer les licences d’antan, en tout cas de chez Sega. Beau, dynamique, profond, Streets of Rage 4 pourra être consommé de la manière qu’il vous plaira, pour le fun, le score, ou entre amis. Non content d’être aux antipodes d’une suite paresseuse, il lui manque néanmoins ce supplément d’âme qui l’aurait vraiment inscrit dans les jeux auxquels absolument toucher cette année. Si y jouer jusqu’au bout de la nuit nécessitera un esprit de compétiteur acharné, le jeu saura animer vos soirées entre potes et vos courtes sessions dans le métro. Néanmoins, de par sa structure et son gameplay venus du passé qui impressionnent forcément beaucoup moins aujourd’hui, je doute qu’il déposera dans votre esprit des souvenirs aussi chaleureux que ses prédécesseurs ont laissés dans le mien.
Les +
- La direction artistique, sublime
- Plusieurs styles et modes de jeu
- Du contenu à débloquer
- Une rejouabilité énorme
- Un système de scoring exigeant
- Son prix
Les -
- Un gameplay qui paraitra rigide et peu bienveillant aux nouveaux venus
- La bande-son, peu marquante