Dès les premières images de Spiritfarer, dévoilé lors de la conférence Xbox de l’E3 2019, j’ai été emballé par sa proposition, à savoir être « un jeu de gestion cosy sur la mort ». Cette thématique est toujours difficile à aborder dans un jeu vidéo : en effet, comment se sentir triste pour le décès d’un personnage alors que la plupart des œuvres du medium nous demandent d’occire des méchants par dizaines ? En faisant le choix de faire un jeu qui traitera uniquement de ce sujet, Thunder Lotus entend bien nous émouvoir et, sous couvert d’une direction artistique toute mignonne, nous parler d’un sujet important, que notre culture occidentale a trop tendance à taire.
https://www.youtube.com/watch?v=UWsYE304k94
Beau, c’est trop
Spiritfarer vous fait incarner Stella, une jeune fille qui, accompagnée de son chat Daffodil, va être intronisée passeuse d’esprits par le grand Charon (pas la voiture, l’autre) : qui est-elle ? Pourquoi a-t-elle été choisie ? Ça, vous ne l’apprendrez que par la suite, en emboîtant les pièces d’un puzzle constitué des bribes de conversation que vous aurez avec les autres personnages. Toujours est-il qu’il va vous falloir embarquer sur un bateau pour récolter les âmes perdues du monde des morts, en faisant en sorte que celles-ci soient confortables et en paix avec elles-mêmes avant de partir. Tout ne sera pas toujours simple, votre bateau s’agrandissant au fur et à mesure de nombreux bâtiments dont vous ne connaîtrez pas forcément la fonction, mais le titre n’est jamais punitif et vous laisse faire des erreurs pour apprendre : pas besoin, ici, de recommencer votre partie parce que vous aurez, par exemple, réduit en poussière une ressource indispensable par la suite. Cela joue en la faveur de l’ambiance cosy qu’a voulu transmettre Thunder Lotus : on retrouve une forme de plaisir enfantin à tester des choses, visiter des endroits, bref à s’amuser et à ne rien faire.
Cette tendance à la flânerie que vous transmet le jeu ne sera cependant pas du goût de tout le monde, car il signifie que parfois, il ne se passera rien – ou pas grand-chose. Si vous acceptez ce postulat de base, néanmoins, cela ne vous dérangera pas trop, car Spiritfarer est beau. Très beau, même. Lors des parfois longs voyages sur le bateau de Stella, je me suis surpris à simplement m’amuser à sauter partout et à aller converser avec les autres passagers, juste pour le simple plaisir de regarder les superbes animations de chacun. D’une fluidité étonnante, celles-ci collent parfaitement avec le style graphique du titre et sa 2D colorée qui semble toute droite sortie d’une série d’animation. Tout est prétexte à l’émerveillement, des reflets des personnages dans l’eau aux îles que vous visiterez – bien que l’on regrettera que le dernier tiers du jeu semble moins inspiré à ce niveau, avec son enchaînement de forêts de conifères.
Metroid Vaiana
Et des îles, vous allez en visiter, puisque l’univers dans lequel vous évoluerez en compte une grosse trentaine : jeu de gestion, Spiritfarer vous demandera avant tout de gérer vos ressources. Les divers objectifs que l’on vous fixera reposeront la plupart du temps sur une boucle simple, qui vous fera récolter un matériau, éventuellement le transformer, construire un bâtiment avec et enfin l’améliorer. Le tout en prenant soin de bien gérer l’espace sur votre embarcation et d’agrandir et donner de nouvelles capacités à celle-ci si besoin. De fait, le titre de Thunder Lotus ressemble parfois à un « Metroidvania de la gestion » : un seul monde, mais dans lequel vous ne pourrez accéder à certains lieux ou ressources qu’une fois que vous posséderez un pouvoir qui vous le permettra, ce qui permet de proposer une narration assez linéaire dans un monde ouvert.
Si explorer cet univers n’est pas désagréable en soi, on regrettera tout de même le manque de difficulté du titre : là où un Ori and the Blind Forest, par exemple, devient de plus en plus difficile, Spiritfarer devient de plus en plus complexe, dans le sens où les actions prennent plus de temps à se réaliser – pour ne pas dire « deviennent de plus en plus ennuyeuses à réaliser ». Le fait que certaines manœuvres (fondre du métal, tisser…) ne s’accomplissent que par des mini-jeux fait que la répétitivité finit par guetter par moments, même si j’aurais du mal à mettre cela uniquement sur le compte du jeu, plus pensé pour être savouré dans de courtes sessions, ce qui n’est pas permis dans le cadre d’un test. Qui plus est, il serait mentir que de dire que je n’ai pas été happé par le titre, enchaînant objectif sur objectif de manière fluide, et les quelques coups de mou résultent aussi d’une mauvaise gestion de mon temps virtuel (essayez toujours de viser plusieurs objectifs à la fois afin de ne pas avoir à attendre passivement, par exemple, qu’une plante ne daigne pousser) : si, cependant, vous êtes quelqu’un qui a besoin d’un stimulus constant pour aimer un jeu, je préfère vous prévenir d’avance que celui-ci – dont le côté cozy le rapproche d’un Stardew Valley – n’est pas pour vous.
Chaque fois que le bateau passe
Dans l’épisode 4 de la saison 3 de The Mentalist, Patrick Jane disait à Teresa Lisbon : « Le thé ? C’est comme un câlin dans une tasse ». On peut en dire de même pour Spiritfarer, véritable « câlin sur un écran », qui atténue par la douceur de sa direction artistique la relative violence de sa thématique et donne au tout un côté très doux-amer, appuyé par les nombreuses métaphores employées pour parler de la mort ou de la maladie (un des personnages doit, par exemple, lutter littéralement contre un dragon). De fait, il réussit l’exploit d’être à la fois un jeu très réconfortant et très triste : quitter une âme que l’on appréciait est un déchirement et vous fera verser bien plus qu’une larme. Il y a fort à parier que vous garderez certains passages en tête à tout jamais, et c’est aussi à ça que l’on reconnaît un grand jeu.
L’écriture très fine – malgré les quelques errances de traduction probablement dues au fait qu’il vienne du Québec – jouera avec vos émotions et vous confrontera à des épreuves de la vie que tout le monde a vécu ou vivra un jour : la perte d’un amour, la dégénérescence de l’âge, le déchirement d’une personne qui part sans qu’on ne puisse lui dire au revoir… Comme le dit le personnage d’Astrid : « La vie est souffrance. La vie est dure ! Le monde est pourri. Mais malgré ça, on trouve des raisons pour rester vivant. Je ne regrette rien de ce que j’ai fait, ni comment j’ai vécu. J’aurais juste aimé que le monde soit un peu meilleur. ». Spiritfarer ne nous épargne pas grand-chose non plus, mais on trouve toujours une raison pour continuer à y jouer : il y a d’autres âmes à sauver, qui ont besoin de nous. Et on ressort du jeu non pas avec la peur de mourir, mais avec l’envie de vivre, pour, nous non plus, ne rien regretter au moment venu.
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Un très grand jeu, ou un trop grand jeu ?
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Un très grand jeu, ou un trop grand jeu ?
Réussite artistique totale et absolue, Spiritfarer est probablement un des jeux les plus beaux auxquels je n’ai jamais joué. Si l’on ajoute à ça une grande finesse dans l’écriture, qui réussit à nous confronter à des choses difficiles avec intelligence, l’on tient un jeu qui tient presque toutes ses promesses. Presque, oui, car, malheureusement, la relative répétitivité du gameplay se fait parfois trop ressentir. Mais ne laissez pas cela vous retenir car, pour un peu que vous adhériez à sa proposition, le titre de Thunder Lotus marquera votre mémoire pour longtemps. Attention, néanmoins : ne vous laissez pas leurrer par son aspect mignon, car le thème très dur et le langage employé en font un jeu réservé aux adultes.
Les +
- Direction artistique superbe
- Animations splendides
- Très douce bande-son
- Écriture intelligente
- Une thématique très bien abordée
- Un monde que l’on a envie d’explorer de fond en comble
Les -
- Boucle de gameplay qui finit par se répéter
- Peu de challenge
- Quelques bugs