Développé et édité par Ubisoft en tant que petit add-on au film Scott Pilgrim vs. The World sorti en 2010, ce jeu éponyme fut retiré des plates-formes en 2014 à cause de problèmes de droits. Depuis, l’œuvre cinématographique d’Edgar Wright a acquis un vrai statut de film culte, une aura qui a quelque peu rejailli sur ce jeu vidéo perdu, que bon nombre n’hésitent pas à affubler du titre de « meilleure adaptation de film de tous les temps ». Une réputation encombrante qui ne colle même pas vraiment à la réalité, étant donné que ce beat them all est en réalité une adaptation du comics de Bryan Lee O’Malley, mais qui a aussi tendance à donner à celui-ci une importance qu’il ne revendique pas : c’est un petit jeu, autant par son prix – une dizaine de dollars à l’époque – que par sa durée de vie, qui se compte en heures sur les doigts d’une seule main. Alors essayons de démystifier la légende et de voir ce que vaut réellement cette Complete Edition en 2020.
Nostalgia critique
Scott Pilgrim vs. The World est une œuvre éminemment nostalgique et ce, à bien des aspects : racontant l’histoire d’un jeune homme ne pouvant oublier sa jeunesse et sortant, pour oublier sa condition de jeune adulte, avec une lycéenne, le comics comme le film ne se privent pas de faire bon nombre de références au jeu rétro (les personnages se transformant en pièces en mourant, par exemple). Des références qui ont probablement tapé dans l’œil des développeurs d’Ubisoft Montréal, qui ont choisi d’ajouter encore une couche de nostalgie en transformant cette œuvre en un beat them all en pixel art du plus bel aspect, qui fait directement référence aux cadors du genre, mais aussi à d’autres jeux vidéo – en témoigne par exemple cette world map qui semble toute droite tirée de Super Mario Bros. 3. Tout cela joue probablement un rôle dans l’aura du titre chez les gamers : enfin une œuvre qui les comprend, enfin un jeu qui leur parle ! Il faut dire qu’à l’époque le pixel art n’était pas aussi à la mode qu’aujourd’hui et que le grand revival du beat them all 2D n’avait pas encore eu lieu.
Au niveau du gameplay, Scott Pilgrim vs. The World ne nous propose d’ailleurs que du très classique : une attaque légère, une attaque puissante et un contre. Seize attaques spéciales viendront s’ajouter au fur et à mesure que le joueur montera de niveau, juste assez pour ne jamais nous lasser durant les cinq heures que dure l’aventure principale, en nous offrant de beaux moments de puissance durant lesquels on combat des hordes d’ennemis – dont le design est malheureusement assez peu varié. Le leveling basique est saupoudré d’une dimension RPG, puisqu’il vous faudra acheter des objets pour augmenter vos statistiques : l’idée n’est pas mauvaise, mais plutôt mal gérée puisque non seulement le jeu ne l’explicite jamais, mais qu’en plus vous ne connaîtrez les effets d’un objet qu’après l’avoir acheté, ce qui poussera les joueurs intelligents à se diriger vers des pages web répertoriant cela pour eux. Un peu dommage.
Ta seule issue, c’est la bagarre
De manière générale, l’adaptation de Scott Pilgrim est grevée de ce genre de petits défauts agaçants : ramasser des armes par terre s’avère assez laborieux, le jeu vous demandant une précision de joaillier dans votre placement. Même une fois celles-ci en main, un rien les fera tomber par terre, y compris la collision avec un objet du décor. Les hitboxes sont, de manière générale, assez aléatoires, ce qui s’avère pénalisant dans les quelques phases de “plates-formes“, et cette réédition ne vient pas résoudre les bugs du jeu original, à commencer par le non-déclenchement de scripts qui vous forcera plus d’une fois à recommencer un niveau – un peu rageant, comme vous pouvez l’imaginer. Mais le plus gros problème du titre réside peut-être dans sa relative inertie : sans pouvoir parler de mollesse, les personnages se meuvent assez lentement, tandis que les animations sont un peu trop détaillées pour leur propre bien, engendrant par moments une impression d’input lag. Heureusement, une fois les bons objets achetés, le jeu est assez facile (la courbe de difficulté est d’ailleurs plus descendante qu’ascendante), ce qui permet à ces défauts de ne pas exclure trop de joueurs.
Néanmoins, quand tout marche bien, ça marche très bien : avant tout chose, Scott Pilgrim vs. The World est une œuvre au charme indéniable, qui réussit à nous emporter dans son Toronto fantasque et à nous retranscrire cette impression de puissance inhérente à tout bon beat them all. On arrive à rentrer dans le flow du jeu, à enchaîner les tatanes en bloquant tous les coups adverses, en ayant l’impression que rien ne peut nous arrêter et que l’on est bon, peu importe notre niveau initial. Cela en fait sans doute une des meilleures introductions à ce genre quelque peu désuet et difficile : les amateurs ne seront jamais mis en difficulté, mais le multijoueur leur permettra d’exploser des tronches en compagnie de leurs enfants, tout en restant dans un environnement assez cartoonesque pour ne pas être trop violent. À son crédit, on peut imaginer que Scott Pilgrim donne à nouveau à un jeune public le goût des beat them all, comme il l’avait fait en 2010 : cela n’a pas de prix.
Dans la légende
L’aventure vaut aussi la peine d’être vécue tout simplement pour son enrobage qui frôle la perfection : même si les sprites et, surtout, les couleurs s’éloignent quelque peu de ce que permettrait une console 16-bits, ils sont beaux et l’on a réellement l’impression de voir le comics prendre vie devant nos yeux. Les artistes de chez Ubisoft Montréal portaient un véritable respect à l’œuvre originale, ce qui se ressent à l’écran, d’autant plus dans cette version Switch qui affiche tout cela en full HD sur nos grandes TV modernes. Quant à la bande-son composée par Anamanaguchi, elle est un bonheur de tous les instants aux oreilles : ce mélange de punk et de chiptune sied non seulement à la licence adaptée, mais aussi au genre, et nous incite, malgré les problèmes, à toujours avancer avec un grand sourire au visage, ce sourire enfantin de la personne qui distribue des bourre-pifs au son de “Rock Club“.
Peut-être est-ce pourquoi Scott Pilgrim vs. The World conserve une telle aura chez les gens de mon âge : reliquat d’une autre époque, d’un temps où nous n’avions pas le choix de poncer encore et encore un jeu de cinq heures, il a sans doute contribué à donner à toute une génération l’amour des jeux rétros et des beat them all, un amour qui nous permet aujourd’hui d’apprécier des œuvres bien plus réussies et complètes telles que Streets of Rage 4 ; un amour, aussi, qui a effacé dans nos cœurs toutes les tares de ce petit titre, qui ne mérite sans doute pas toute l’aura dont il entouré, mais que l’on prendra un certain plaisir à parcourir, une dernière fois, sur nos Switch. On lui doit au moins cela.
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Scott Pilgrim vs. The World, mandale de Proust
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Affronter le passé n'a jamais été aussi agréable - 60%60%
Affronter le passé n'a jamais été aussi agréable
Il faudrait une certaine dose de mauvaise foi pour dire que Scott Pilgrim vs. The World : The Game est un excellent beat them all : bourré de petits défauts agaçants (hitboxes imprécises, lenteur, bugs…), celui-ci ne fait pas le poids face aux actuels cadors du genre. Néanmoins, ses graphismes, son amour du jeu vidéo et de la licence qu’il adapte ainsi que ses musiques en font une œuvre indéniablement charmante, que l’on prendra un certain plaisir à parcourir une nouvelle fois sur Switch, seul ou avec des amis.
Les +
- Musique formidable
- Très beau
- Tout simplement fun
- Parfait à plusieurs
- Une bonne introduction au genre
Les -
- Trop de bugs
- Hitboxes aléatoires
- Trop d’inertie
- Manque d’un tuto
- Armes pratiquement inutiles