Road 96, bon ou bad trip ? – TEST

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DigixArt est un studio français avec une petite expérience. Deux titres à leur actif : Lost In Harmony, aventure mobile centrée sur la musique et 11-11 Memories Retold, œuvre narrative sur la Première Guerre mondiale. Pour leur troisième titre, Road 96, le studio français conserve sa formule narrative mais y ajoute une touche de génération procédurale pour pimenter un road-trip qui s’annonce fort en rebondissement. Mission réussie ?

Sur la route de Memphis 96

Road 96 se déroule à Petria, pays fictif qui est en proie à un président peu regardant sur les droits de l’Homme et les libertés individuelles, le président Tyrak. Inutile de préciser qu’il profite de son poste pour remplir gentiment ses poches ainsi que celles de ses amis. Petria n’est donc pas dans une grande forme. Pour couronner le tout, un attentat commis dix ans auparavant lors de l’élection présidentielle a fracturé encore plus le pays. Les jeunes, n’étant pas écoutés et sentant qu’il n’y a pas d’avenir pour leur patrie, décident de fuir et de franchir la seule et unique frontière terrestre. Difficile de passer à côté, Petria est très fortement inspiré des États-Unis que ce soit dans l’imagerie globale (déserts, voitures, routes, panneaux) où dans la politique dépeinte (deux candidats qui s’opposent et dont les couleurs sont les mêmes que les Républicains et Démocrates). 

Le jeu ne nous met pas dans la peau d’un ou d’une jeune cherchant à fuir, mais de plusieurs. En effet, si vous étiez comme moi de petits égoïstes qui pensaient avoir le beau rôle dans l’histoire, c’est raté. Vous allez vivre une série de road-trips à travers plusieurs personnages, et la seule chose que vous aurez à faire est d’arriver en un seul morceau à la frontière. Vous êtes dans la peau du rôle secondaire, celui qui observe beaucoup, mais qui a peu ou pas d’impact. Les vraies vedettes, ce sont les huit personnages que vous rencontrerez pendant vos épopées. Vous n’aurez qu’une chose à faire : les découvrir plus en profondeur. Du plus burlesque, qui dénote avec la triste réalité de Petria, au plus effrayant qui nous ferait regretter de tenter de quitter le pays, le casting de Road 96 est varié tant en termes de personnalité que de design. Si vous ne lâchez pas une goutte de sueur en compagnie de Jarod où que vous n’avez pas envie de casser un mur lorsque vous rencontrez Sonya, je vous tire mon chapeau. (Ci-dessous, l’une des nombreuses phrases cultes que lâche Sonya et qui fera saigner les oreilles de nombreux journalistes.

Procédural… trop peu durable ?  

Road 96 est un jeu particulier à appréhender. Tout le long de sa campagne de communication, le studio français parlait d’une aventure narrative procédurale. Mais qu’est-ce que ça veut dire manette en main ? Je vois ça un petit peu comme si un jeu Telltale avait rencontré un rogue-lite. Le jeu se construit en sept runs différentes, dans lesquelles vous allez à chaque fois devoir quitter le pays. Durant ces dernières, vous allez vivre plusieurs scénettes aux côtés des personnages mentionnés plus tôt. Ce qui est procédural dans l’œuvre de DigixArt, c’est la disposition des scènes : vous ne jouerez jamais au même jeu qu’un autre. Durant une partie, vous vivrez des moments que certains ne verront jamais, et inversement. Le défi que devait relever le studio est de rendre le tout cohérent, et c’est très réussi. Les personnages évoluent de manière cohérente et à quelques exceptions près, la magie opère. 

Mais pour qu’elle opère jusqu’au bout, il va falloir prendre son voyage au sérieux. Votre survie dépend de deux éléments essentiels : votre argent et votre jauge d’endurance. Cette dernière est en quelque sorte votre jauge de vie : si elle tombe à plat, c’est la fin. La mort ne vous attend pas forcément, mais un policier qui passe par là pourra vous mettre derrière les barreaux (oui, la police ce n’est plus ce que c’était à Petria). Cette gestion, qui, même si elle s’avère nécessaire, n’est pas redondante et plutôt bien pensée. Le couperet au-dessus de votre tête, qu’ils représentent, est un excellent moyen de pression sur votre personnage : vous n’êtes pas attaché à lui, mais la fin de son voyage signifie moins de scènes aux côtés des personnages auxquels vous vous êtes attachés. Cependant, par moments, ce couperet peut être très frustrant. Au début de chaque run, vous êtes devant une sélection de personnages à incarner et les seules informations dont on dispose sont l’âge, l’argent et la jauge de forme. Je suis tombé sur trois choix avec une forme très basse, ma run était donc condamnée car je n’ai pas eu de scène m’ayant permis de la remonter. Frustrant. 

Tendance rogue lite oblige : vous trouverez des objets dont les effets seront permanents. Alors il faut l’avouer, cette mécanique n’a aucune logique. Vous n’incarnez pas les mêmes personnages, alors comment est-ce que vous faites pour avoir le même pass sanitaire gouvernemental que le personnage incarnée précédemment ? Mais au-delà de ce faux raccord, ces objets se révèlent terriblement efficaces, et ce encore plus en New Game +, où vous n’aurez plus aucune barrière. Le jeu s’amuse beaucoup à rendre hommage à l’histoire de son média à travers beaucoup de séquences de gameplay et mini-jeux qui ne sont, certes pas folichons, mais qui font varier l’aventure

La route qui prend au trip ? 

Inutile de se voiler la face, le pitch global de Road 96 n’est pas particulièrement intéressant. L’aspect procédural du jeu rend impossible toute sorte de fil rouge narratif. Mais on ne va pas se mentir, comme je vous l’ai expliqué précédemment, c’est l’histoire des huit habitants de Petria que nous rencontrerons qui nous préoccupera. Chaque moment passé à leurs côtés est plaisant. On apprend à les connaître, à les détester, à les apprécier et parfois même à s’apitoyer sur leur sort. Mais ce qui marche bien avec Road 96, c’est la manière dont chaque destin est entremêlé avec celui d’un autre : je me suis plusieurs fois étonné de voir les liens que peuvent entretenir certains personnages entre eux, et c’est souvent cocasse. Le tout fonctionne diablement bien, à quelques exceptions près : je me suis parfois retrouvé à croiser deux fois un personnage dans la même run, et pourtant on continue d’interagir comme si on ne s’était jamais rencontré. Ça arrive assez rarement, mais c’est un poil dommageable car cela brise un petit peu l’immersion. 

Un poil de politique. 

Le point commun qui touche tous nos personnages et qui est ancré dans le titre, c’est la politique. Si certains studios déclarent ne pas faire de la politique dans leurs jeux (et surtout pas dans ceux où ont renverse des gouvernements tyranniques), DigixArt affirme une position plutôt claire : Road 96 est un jeu politique. Certains sujets sont d’ailleurs très bien dépeints : le jeu soulève un questionnement, celui de la violence. Doit-on, pour renverser un gouvernement tyrannique, faire preuve d’une aussi grande violence que lui ? Si le sujet n’est malheureusement pas assez creusé, il soulève des problématiques intéressantes. Cependant, il y a un (petit) bémol. J’ai trouvé que le studio français était par moments un poil naïf avec une vision très manichéenne de la politique. Tyrak (contraction assez évidente de tyrannique) et son opposante (Florres) font en quelque sorte comprendre qu’il y a deux solutions, une bonne et une mauvaise. Tyrak est un reflet d’Hitler (les jeunesses Tyrakienne, camp de concentration pour les jeunes qui cherchent à fuir), mais ça sonne trop facile, déjà vu et le ton parfois très léger du jeu dissonne à côté d’une telle comparaison. Dommage car DigixArt aurait pu exposer une vision différente et originale, comme sur l’usage de la violence. 

Du miel pour les oreilles, de la javel pour les yeux. 

Road-trip est souvent synonyme de musique, et ça, le studio l’a parfaitement compris. Road 96 possède une bande-son d’une qualité indéniable. 28 titres ont été composés pour la bande originale, et ce par une pelletée d’artistes de talent : The Toxic Avenger, Cocoon, S U R V I V E, Valkor X. De l’électro à la pop folk, les morceaux sont extrêmement variées et parviennent à se marier à la perfection avec les différentes scènes. Je ne vous cache pas que j’avais un sourire tout bête quand j’ai commencé ma partie et que le jeu m’a accueilli avec The Road par Cocoon (artiste que j’apprécie particulièrement, 0 objectivité mais je l’assume). Sur ce point-là, DigixArt à parfaitement réussi a capter l’essence phare d’un road-trip, avec pour seul bémol, une certaine répétition dans les morceaux au fil de l’aventure. 

On ne peut malheureusement pas être aussi dithyrambique sur la qualité technique du jeu. Road 96 s’égare comme de nombreux autres titres avant lui sur ce point et c’est vraiment dommage. Si le framerate ne descend jamais trop bas, il n’est pas rare de le voir pris à défaut par moments. Pour ce qui est du visuel pur, la direction artistique cartoonesque ne parvient pas à éviter les habituels problèmes qu’on a tellement l’habitude de voir : en effet, si votre personnage est censé voyager seul, vous pourrez constater qu’il est toujours accompagné de ses fidèles serviteurs clipping et aliasing, malheureusement au rendez-vous. C’est un peu triste car certains moments tombent à l’eau : par exemple, je me retrouve au sommet de la montagne de Petria et mon personnage prend quelques secondes pour apprécier le décor d’en haut : sauf que les nuages qui sont censés nous montrer qu’on surplombe le pays sont particulièrement ratés… 

Heureusement, si la technique est un peu à la masse, elle n’empêche pas au bon déroulement de l’aventure. On s’y fait, tristement, mais on est des joueurs Switch, on a l’habitude.

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En route mauvaise troupe
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En route mauvaise troupe

Road 96 est une aventure singulière. Elle prend des risques en additionnant narratif et génération procédurale et réussit plutôt bien son pari grâce à des personnages hauts en couleurs qui nous donnent toujours envie de relancer une partie. Si sa technique n’est pas à la hauteur, c’est tout l’inverse de sa bande-son qui capture des moments d’allégresse avec un charme tout particulier. En prime, même si c’est parfois maladroit, le studio français n’hésite pas à faire un pied-de-nez aux studios qui affirment sans trembler qu’ils ne font pas de politique dans leurs jeux. Ce n’est pas l’oeuvre de l’année, mais une aventure à faire sans hésiter si vous êtes en manque de voyage. 

Les +

  • De belles réflexions politiques apportées…
  • Un système de survie équilibré…
  • Le procédural qui fonctionne bien
  • Des personnages passionnant à découvrir et difficile à quitter
  • Une OST absolument géniale et qui tape dans le mille à chaque fois

Les -

  • …mais avec un côté trop naïf et déjà-vu.
  • …parfois cruel, procédural oblige.
  • Techniquement décevant
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Jilax
39 articles

Plongé depuis ma plus tendre enfance dans le jeu-vidéo sans aucune envie de remonter à la surface. Une manette, une guitare et un match de foot du Stade Rennais suffisent à mon bonheur.