Dans une très longue et intéressante enquête menée pour le compte du site VentureBeat, le journaliste Dean Takahashi nous révèle que Moon Studios (Ori and the Blind Forest, Ori and the Will of the Wisps) serait “un environnement de travail oppressif“, loin de l’image mignonne et sympathique véhiculée par les jeux. Un environnement de travail tellement toxique, semble-t-il, qu’il a provoqué chez un certain nombre d’employés des problèmes de santé mentale, comme un syndrome de stress post-traumatique.
Le problème viendrait principalement des deux fondateurs de Moon Studios, Thomas Mahler et Gennadiy Korol. Ceux qui ont fréquenté le forum ResetEra connaissent déjà un peu le caractère de Mahler, prompt à taper sur les jeux et studios concurrents (Hello Games ou CD Projekt Red, par exemple) et très véhément quand d’autres utilisateurs lui faisaient remarquer les similitudes entre Ori and the Will of the Wisps (paru en 2020) et Hollow Knight (paru en 2017). Mais cela n’est rien du tout par rapport au portrait qu’en dressent les anciens employés du studio : très sympathiques en personne, les deux fondateurs de Moon Studios cultiveraient une image “anti-woke” qui leur permettrait d’entretenir un environnement de travail où blagues de mauvais goût (sur la volonté de “tuer les juifs”, les handicapés mentaux…) et harcèlement sont choses courantes :
Ils ont une mentalité où ils pensent qu’ils ne sont pas politiquement corrects, qu’ils ne veulent pas être censurés, qu’ils ne veulent pas être corporate. Ils ne veulent pas être comme ces autres studios. Mais ce n’est qu’une justification pour se comporter comme ils le souhaitent. D’autres studios tentent de créer un environnement de travail confortable pour toutes les personnes impliquées. […] Ils avaient peur que l’entreprise ne change. C’était comme s’ils tenaient à faire respecter la culture anti-woke en faisant régulièrement des blagues inappropriées. C’était comme s’ils luttaient contre une censure invisible.
Les deux fondateurs ont semble-t-il, beaucoup de mal à communiquer avec les équipes, d’autant plus que Moon Studios opère à 100% en télétravail. Thomas Mahler, notamment, “rejetterait le travail de développeurs en disant que c’est “de la merde”, sans expliquer pourquoi“. Le manque de retours constructifs, de félicitations à l’égard du personnel, et les instructions contradictoires données aux équipes seraient en dissonance avec le mantra du studio, qui est de faire de la qualité des jeux sa priorité numéro un :
Le truc de la qualité est un mythe. Ce genre de comportement ne conduit pas à un travail de qualité. Cela crée de la souffrance et des coûts inutiles que les développeurs doivent payer. S’il en résulte de la qualité, ce n’est pas grâce à leur inaptitude. Ils ne sont pas de bons leaders, et la qualité se produit malgré eux, pas grâce à eux.
En plus de dire aux développeurs que leur travail “c’est de la merde“, les fondateurs le faisaient dans un chat public, renforçant ainsi l’humiliation. Cela va à l’encontre d’une règle bien établie du management : “si vous avez un problème avec le travail, félicitez-le en public et réprimandez-le en privé. Ce genre de philosophie n’avait pas vraiment cours chez Moon Studios“. Si Mahler et Korol ont voulu embaucher des vétérans de l’industrie pour assurer un travail de qualité, cela ne les empêchait pas de mal parler des jeux sur lesquels ils avaient précédemment travaillé ou de leur dire, devant tout l’équipe, que leurs idées “leur donnaient envie de vomir” ou que les développeurs étaient des “avortements ratés“.
Tout ceci a provoqué un immense turnover chez le studio, et la plupart des gens ayant travaillé sur le premier Ori sont partis une fois que le jeu est sorti – quelque chose d’étonnant pour un titre aussi bien reçu par la critique. Si cela a à voir avec la culture de l’entreprise, le comportement immature des fondateurs (“les personnes les moins drôles du monde”, qui “font des commentaires sur l’apparence des femmes”, “des blagues sur la taille des pénis et sur Hitler” et font preuve d’un “racisme décontracté”), le crunch a évidemment joué une grande part dans la décision de ceux qui sont partis : les fondateurs de Moon Studios sont critiqués pour leur micro-management intensif, qui conduit à “des semaines de travail de sept jours, et ce pendant des mois“. Une telle ambiance et charge de travail ne sont pas sans effet sur la santé mental des équipes : stress, burn-out, mais aussi des symptômes pouvant se rapporter à du stress post-traumtique :
J’ai travaillé dans plusieurs studios, et Moon Studios est le seul qui m’a donné un syndrome de stress post-traumatique à propos de cette industrie. Je pense qu’ils sont particulièrement toxiques. Je me suis définitivement épuisé au point où je pense que j’envisagerais de changer de carrière, tellement c’était horrible.
Si Microsoft a toujours eu une relation conflictuelle avec Moon Studios à propos des délais et du financement, le fait que les studios n’aient pas de locaux a permis aux différents problèmes de passer sous leur radar pendant longtemps. Cette relation conflictuelle, ainsi que le fait que les soucis soient enfin remontés aux oreilles de l’éditeur, les a conduit à ne plus renouveler leur confiance en Mahler et Korol, qui travaillent désormais sur un nouveau jeu pour le compte de Take-Two. Un titre pour lequel Mahler a insisté pendant des mois pour qu’il s’ouvre sur un viol de son héroïne, un scène de viol qui justifierait le comportement “badass” de son héroïne durant le reste du jeu. Si les équipes ont enfin pu lui faire entendre qu’il serait de mauvais goût d’inclure une telle scène, elles sont tout de même choquées du contenu de ce prochain titre :
Le public peut très bien se demander qui sont ces personnes derrière ce jeu sombre ? Cette scène [de viol] était très alarmante. Je demandais pourquoi nous, en tant que studio, passions de la création d’Ori à ce jeu ultra-violent. Cela ne semble pas être une progression logique pour le studio. […] Après, ils ont parfaitement le droit d’aller dans une toute nouvelle direction. Mais ce nouveau jeu est si loin de l’identité de Moon Studios. Je pense que c’est une autre des raisons pour lesquelles les gens sont partis.
Vous pouvez retrouver la très classique réponse de Moon Studios à ces allégations dans l’article de Dean Takahashi, que l’on pourrait résumer par “ce n’est que des blagues, nous ne sommes pas racistes car nous sommes multiculturels, nous avons produits de bons jeux, mais nous reconnaissons qu’il y a de la place pour nous améliorer et nous allons essayer de le faire”. Espérons qu’il y ait un peu de vrai là-dedans, pour le bien-être des employés actuels et futurs.