Cela fait déjà onze ans que la saga Xenoblade Chronicles a débarqué sur nos consoles Wii avec le premier épisode. Assez confidentielle à l’origine, sa popularité a cru avec le temps grâce au bouche à oreilles des connaisseur·euses et à la bonne volonté de Nintendo (dans l’ensemble) pour promouvoir la franchise, comme en témoigne Super Smash Bros. Si le temps nous a donné deux opus supplémentaires (oui, je me souviens de Xenoblade Chronicles X) depuis ainsi qu’un remaster de grande qualité en 2020, il nous restait à découvrir la suite de la saga numérotée après le second volet paru en 2017. C’est désormais chose faite avec Xenoblade Chronicles 3. Un épisode qui, s’il nous ramène en terrain connu, se veut aussi une synthèse et un aboutissement du travail de Tetsuya Takahachi depuis le premier opus. Ici, le mot “synthèse” prend même tout son sens.
Des titans ? Connais pas !
Comment parler d’un jeu Xenoblade sans en présenter l’univers ? La toile de fond qui sert de décorum à ces différents récits est toujours singulière, bien que l’on commence à connaître la chanson avec le temps. Ce troisième opus choisit donc d’être moins exotique puisque son monde nommé Aionios abrite un continent à proprement parler. Les néophytes pourraient y voir une carte originale (l’épée de 30 kilomètres de long plantée à l’horizon aidant pas mal) tandis que les habitué·es se feront vite une idée de ce qu’il est advenu des habitats peu communs des deux premiers épisodes. Pour des raisons évidentes, je n’évoquerai pas en détail les liens qui unissent les trois jeux car chacun d’eux peut être fait avant ou après les autres, et il se pourrait que vous découvriez la saga avec Xenoblade Chronicles 3. Sachez seulement que les thèmes philosophiques développés au cours du récit le sont avec le brio auquel Tetsuya Takahashi nous a habitué·es. En plus du sens de nos existences et du monde, des réflexions sur la vie, la mort, l’Univers et tout le reste, le monsieur se permet d’explorer de nouveaux horizons en développant davantage le côté relationnel. Le tout fait le lien avec les autres thématiques pour proposer de nombreux niveaux de lecture qui s’enrichissent mutuellement. Mention spéciale au climax de l’aventure qui articule tout cela à la perfection et vous fera pleurer à chaudes larmes.
Pour en revenir à l’incipit, ce monde est donc le siège d’un conflit permanent entre deux nations, Keves et Agnus, qui se livrent une guerre sans merci pour voler la force vitale de l’adversaire, au sens propre du terme. Au cours d’une bataille, chaque faction déploie des méchas gigantesques, les Ferronis. Ces derniers sont équipés de Cadrans Vitaux, des dispositifs qui capturent et emmagasinent l’énergie vitale des soldats ennemis tombés au combat. Les deux camps disposent de colonies disséminées aux quatre coins du continent. Chacune livre bataille à celles de l’ennemi à l’aide d’un Ferronis et d’une force d’infanterie. Ces soldats naissent dans des cuves façon Matrix avec une apparence déjà âgée et ne vivent que 10 ans, période après laquelle ils sont rappelés auprès de la reine de leur nation pour alimenter les prochaines générations.
Au milieu de tout ce bazar pour le moins singulier, nous incarnons donc six protagonistes issu·es pour moitié de l’une ou l’autre des deux nations. Les leaders de chaque équipe, Noah et Mio, ont la particularité d’être des passeur·euses d’âme. Ces unités spécialisées usent d’un air mystérieux à la flûte pour guider l’essence vitale des défunt·es vers leur bien-aimée souveraine. Le jeu débute avec l’équipe de Keves mais nous met rapidement en contact avec le trio d’Agnus. Tout ce beau monde va rencontrer un homme étrange alors qu’il s’entretue joyeusement. L’intéressé interrompt le combat en utilisant un mécanisme de nature inconnue qui transforme nos héros et leur permet de fusionner par paires pour former des entités surpuissantes : les Ouroboros. C’est ce pouvoir qui les sauve tou·tes les six des griffes d’un mystérieux ennemi apparu alors et qui semble déterminé à les supprimer. Après être devenus ennemis des deux pays à la fois, nos protagonistes sont contraint·es de s’allier pour entreprendre un voyage dont l’issue est incertaine…
Fuuuuuuu…SION !
Fidèle à la réputation de ses aînés, Xenoblade Chronicles 3 nous invite donc à prendre part à un récit singulier dans un monde qui ne semble pas tourner rond. Mais n’est-ce pas le voyage qui compte davantage que la destination ? Assurément. Et que serait un voyage de J-RPG digne de ce nom sans son lot de combats et de quêtes annexes à gogo ? Pour situer le sujet afin que les profanes puissent suivre, Xenoblade a un système de combat proche du MMO mais adapté au jeu solo. Concrètement, nos personnages ont des auto-attaques relativement faibles ainsi que des Arts, des compétences plus puissantes aux effets variés que l’on peut déclencher manuellement, mais qui disposent d’un cool-down plus ou moins important selon leur effet. Plus l’on avance dans le jeu, plus le système de combat gagne en complexité en superposant des mécaniques à cette base. D’une sensation de lenteur relative en début d’aventure, on passe à un exercice d’équilibriste mental passé un certain point. Il faut alors réagir rapidement en assimilant beaucoup d’informations en un temps très court, ce qui fait tout le sel des combats à haut niveau.
Comme je souhaite rester concis, je ne vais pas détailler chaque mécanique, certaines mériteraient même un guide complet. Pour résumer le tout, disons seulement que la notion de fusion ou de combinaison est implémentée absolument partout. Il peut s’agir de mécaniques entières comme la Fusion d’Arts ou bien entendu les Ouroboros. Mais des détails en apparence insignifiants viennent appuyer cette volonté de synthèse comme le mode de cool-down des Arts (temps écoulé ou nombre d’auto-attaques successives) qui varie selon la faction et peut donc être similaire à Xenoblade 1 ou 2 selon le personnage. Les combos de déstabilisation sont aussi issus des deux jeux, avec un embranchement possible vers une Commotion ou une Explosion après une Chute. Les Enchaînements (une série d’Arts lancés en arrêtant le temps temporairement) incorporent également des éléments des deux volets précédents avec une part d’aléatoire façon Xenoblade 1 (mais beaucoup moins préjudiciable) au début de chaque tour mais une jauge bien définie à remplir pour pouvoir continuer, là où il fallait briser un orbe élémentaire dans Xenoblade 2. Ce souci du détail contribue à la fois à l’univers du jeu mais aussi à son gameplay qui essaie de (ré)concilier les deux premiers opus. La cohérence qui en résulte vis-à-vis du récit est donc tout à fait appréciable, au-delà de la simple efficacité et de la synergie des mécaniques en tant que telles.
Xenoblade Chronicles 3 reprend à son compte le système de classes de Xenoblade X en permettant lui aussi de conserver des Arts et compétences passives apprises dans l’une d’elle quelle que soit la classe choisie. Il faut ainsi changer régulièrement de composition d’équipe si l’on veut enrichir ses possibilités et pouvoir faire face à toutes les situations. On en vient donc aux Héros. À la manière d’un Bravely Default, il faut en effet aider ou affronter ces personnages dans des quêtes annexes (certaines sont obligatoires au cours de l’aventure) pour débloquer de nouvelles classes et pouvoir les ajouter comme septième membre temporaire du groupe. Non seulement ces quêtes sont narrativement bien plus abouties que des quêtes fedex ordinaires, mais on sait aussi que la récompense en vaut la peine, donnant encore plus envie d’explorer le monde à la recherche de contenu annexe. Et puisqu’on en parle, les compétences de terrain de Xenoblade Chronicles 2 et leurs maudits niveaux ne sont plus de la partie pour pouvoir interagir avec l’environnement. Dieu merci.
Flûte et pixels (moins) baveux
Terminons ce test par les points technique et bande-son. Du côté de la première, on sent une véritable évolution de la part de Monolith qui maîtrise enfin la machine et propose une copie bien plus présentable que Xenoblade Chronicles 2 il y a cinq ans. Les 30 fps sont tenues, et cette fois il ne faut pas en passer par du 360p en mode portable, ce qui est d’autant plus impressionnant quand on voit la taille démesurée du monde à charger sur cette si petite console. La résolution peut rester occasionnellement fluctuante et l’oeil averti verra faiblir le rendu en mode portable, mais on reste bien au-dessus de ce qu’était Xenoblade 2 à sa sortie, en arrivant à faire encore mieux que Definitive Edition qui était déjà une amélioration en la matière. Xenoblade Chronicles 3 reste plus appréciable en mode salon pour profiter d’un 1080p qui laisse moins transparaître certaines astuces cache-misère et surtout pour ne pas risquer de se brûler avec une console poussée dans ses derniers retranchements. Vivement la Switch 2 comme dirait l’autre.
Côté musique, Yasunori Mitsuda et les autres grands noms qui ont pour habitude d’oeuvrer sur la saga nous livrent une bande-son aussi magistrale qu’à l’accoutumée pour Xenoblade Chronicles 3. On s’éloigne pour de bon du métal du premier opus pour laisser plus de place à de la flûte ou du piano, ce qui est fort à propos compte tenu de la particularité de nos deux principaux protagonistes. Le tout, si l’on pouvait douter de sa pertinence, prend tout son sens une fois en jeu. L’épique n’est pas sacrifié et le tragique prend une ampleur insoupçonnée grâce à des mélodies toujours aussi géniales. Une fois habituées à les entendre, vos oreilles ne pourront qu’en redemander à la moindre occasion. La magie de Xenoblade est donc intacte à ce niveau-là.
Une synthèse réussie
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Une synthèse réussie - 90%90%
Summary
Avec autant d’expérience dans les pattes, Tetsuya Takahashi nous livre un nouveau chef d’oeuvre à la hauteur de sa réputation. Xenoblade Chronicles 3 aborde les thèmes qui sont chers à son créateur mais défriche aussi de nouveaux horizons. Le jeu utilise la notion de fusion pour articuler son récit et son système de combat qui cherche à synthétiser de nombreux éléments issus de toute la saga, y compris le système de classes de Xenoblade X. Plus qu’un agrégat sans consistance, l’ensemble est savamment équilibré pour proposer ce qui est sans doute le meilleur système de combat que la franchise nous ait offert, pour aller avec l’opus le plus abouti qu’elle puisse nous proposer. Le tout est aussi une réussite technique incontestable pour Monolith qui maîtrise enfin le hardware de la Switch. La magie Xenoblade fonctionne toujours à travers nos doigts sur la manette, nos oreilles enchantées par une bande-son exceptionnelle et nos yeux qui versent leur petite larme lors des intenses moments d’émotion. Que vous soyez déjà fan ou non, il n’y a pas de prérequis pour en profiter, si ce n’est d’avoir beaucoup de temps à disposition et de ne pas être allergique aux (longues) cinématiques.
Les +
- Un récit aux thèmes toujours aussi forts mais qui en explore de nouveaux
- Un système de combat plus riche et abouti que jamais, avec la possibilité de changer de personnage à la volée…
- La notion de fusion qui articule combats et récit et complimente les nouveaux thèmes abordés
- Une technique solide malgré l’ampleur de la tâche
- Une bande-son toujours aussi merveilleuse
- Accessible aussi bien aux fans qu’aux néophytes grâce, notamment, à une UI qui s’améliore
- Un fan-service ramené à un niveau supportable
Les -
- Même s’il y a du mieux, les tutoriaux restent perfectibles
- … mais une IA alliée qui peut nous jouer des tours et ruiner une stratégie. Un système optionnel avec des directives plus précises à lui donner aurait été bienvenu.