Kamilla Knutsen Steinnes et Clara Julia Reich, deux chercheuses de l’institut national de recherche sur la consommation de l’université d’OsloMet viennent de rendre les résultats d’une étude menée sur les enfants de dix à quinze ans. Celle-ci suggère que, dans un monde où les jeux vidéo sont pratiqués par quasiment tous les jeunes, et où les free-to-play comme Fortnite sont devenus un véritable espace de rencontre social parascolaire (de la même façon que MSN Messenger a pu l’être pour les millenials), les enfants qui ne dépensent pas d’argent pour des skins ou de l’équipement courent le risque de se faire harceler ou isoler de leurs camarades.
Nous avons découvert que les skins, qui désignent votre apparence dans le jeu, ont une fonction sociale cruciale.
Les enfants peuvent être traités de “pauvres” s’ils n’ont pas dépensé d’argent sur leur personnage. Les enfants qui ont, eux, dépensés de l’argent pour leur personnage peuvent bénéficier d’une attention accrue et d’autres avantages, ce qui revient à acheter sa popularité.
L’étude, résumée en anglais par Science Norway, montre en effet que les jeunes d’aujourd’hui subissent en premier lieu une pression pour jouer, tant le jeu vidéo est devenu une partie intégrante de leur vie. “Il n’y a plus de distinction claire entre leur présence en ligne et hors ligne. Il ne s’agit que de différentes parties du monde social dans lequel ils naviguent“, dit Steinnes. Un point de vue partagé par Franck, 13 ans, l’un des enfants étudiés, qui dit : “si tu ne joues avec personne, tu n’as pas grand chose à dire à l’école“.
La pression subie pour s’intégrer ressemble à ce qui existe déjà dans d’autres contextes sociaux, mais prend de nouvelles formes. Certains enfants peuvent se sentir exclus s’ils n’ont pas accès à certaines ressources (accès au Wi-Fi, équipement de jeu, monnaie virtuelle) pour jouer avec leurs amis et peuvent être harcelés en fonction du “skin” qu’ils portent.
Les autrices de l’étude parlent d’une véritable “pression numérique sur l’image corporelle“, évidemment aggravée par le fait d’être de genre féminin, comme en témoigne Sarah, 14 ans : “j’ai entendu des choses comme ‘retourne dans ta cuisine’ ou ‘tu es une fille, meurs, meurs, meurs’. C’était très explicite“.
Et les jeux les plus joués par ce public tirent avantage de cette pression sociale en facilitant et gamifiant l’expérience de dépense via l’utilisation d’interfaces truquées (en anglais, “dark patterns”), un “design manipulatif” qui “piège, fait pression, ou force les consommateurs à faire des choix qui vont dans l’intérêt de l’entreprise, en exploitant les faiblesses des consommateurs“, ce qui est particulièrement problématique quand on parle d’enfants.
Certains enfants nous ont parlé de plusieurs stratégies qu’ils utilisent pour se protéger de cette influence commerciale, comme ne pas visiter la boutique du jeu ou faire des tâches ménagères (comme passer l’aspirateur) au lieu de jouer aux jeux vidéo. L’influence sociale s’est ajoutée à la pression commerciale, les enfants voulant rester à jour sur les tendances en termes de “skins” afin de mieux s’intégrer à leurs pairs dans le jeu.
Comment protéger ses enfants, dès lors ? Les autrices de l’étude soulignent une grande disparité en termes de “connaissances sur les jeux vidéo et les micro-transactions” parmi les parents, “certains d’entre eux ayant introduit leurs enfants au jeu vidéo et jouant avec eux, tandis que d’autres sont sceptiques à l’égard des jeux vidéo et de leur valeur sociale et limitent les achats de jeux et d’objets virtuels“.
Comme le dit la newsletter Crossplay, qui a relayé cette étude, le plus important est sans doute de jouer aux jeux vidéo avec ses enfants, pour pouvoir identifier comment les jeux poussent les jeunes à dépenser de l’argent, mais aussi pour pouvoir être une figure de confiance à laquelle les enfants se sentiront libres de parler s’ils se font harceler en jeu.
En l’absence d’une intervention gouvernementale significative, vous devez supposer qu’un grand nombre de ces jeux continueront d’exploiter autant que possible leurs joueurs jusqu’à ce que quelqu’un leur demande légalement d’arrêter. Vous restez la meilleure défense de votre enfant.
Vraiment dingue de voir que le harcèlement vestimentaire se poursuit sur les jeux, vraiment. Je savais que les skins étaient déjà une “preuve de richesse” selon certain.es, mais je pensais que ça s’arrêtait à ça 🙁