Mieux vaut tard que jamais comme on le dit si bien. En septembre dernier, Rundisc sortait le fameux Chants of Sennaar, triplement récompensé depuis aux Pégases avec les prix du meilleur jeu, du meilleur jeu indépendant et du meilleur game design. Intrigué depuis longtemps par cette aventure atypique sur bien des aspects, je me suis enfin décidé à me lancer dedans et je n’ai pas été déçu. Ceci est également l’occasion d’en publier le test qui manquait cruellement à nos nombreuses publications.
Un remake de la Tour de Babel ?
Chants of Sennaar raconte le voyage d’un mystérieux individu encapuchonné se réveillant au pied d’une gigantesque tour. Le protagoniste, dont on ne connait ni le passé ni les motivations, se met en tête de gravir l’édifice. Pour cela, il devra compter sur l’aide des habitants de la tour mais c’est là que surgit le hic : ces derniers parlent une langue étrangère totalement inconnue. À la manière des hiéroglyphes égyptiens, cette langue est composée de multiples symboles, chacun ayant une signification bien précise mais qui reste bien obscure pour un non-initié. Et lorsque l’on comprend qu’il n’existe non pas une mais plusieurs langues à traduire tout au long du jeu, on comprend la tâche titanesque qui nous attend. Chants of Sennaar est donc avant-tout un jeu de réflexion et un véritable défi linguistique qui révèle tout le génie de Thomas Panuel, game designer du jeu.
Pour déchiffrer et traduire les différentes langues du jeu, votre sens de l’observation et de la déduction seront indispensables. À travers de nombreuses mises en situations diverses et variées, Chants of Sennaar vous donne maintes occasions de comprendre la signification de tel ou tel glyphe. Une partie de cache-cache avec une fillette sera par exemple l’occasion parfaite d’apprendre les mots “Trouver” et “Chercher” mais il sera parfois nécessaire de vous hasarder à quelques hypothèses. Entre verbes, conjonctions de coordinations, mots communs, adjectifs et autres structures grammaticales, il sera facile de vous tromper d’un mot à l’autre avec, parfois, des confusions assez pittoresques et c’est justement ce qui fait le charme si particulier de ce jeu. Comme Champollion tâchant de déchiffrer la Pierre de Rosette, vous devrez parfois jongler d’une langue à une autre pour en déchiffrer une troisième et faire preuve d’une certaine flexibilité pour vous en sortir.
De fait, et malgré une atmosphère contemplative et sereine, Chants of Sennaar impose un défi parfois bien corsé. Car au-delà de la barrière de la langue qui vous ralentira régulièrement dans votre ascension, certaines énigmes resteront très difficiles. En de très rares occasions, j’ai eu un mal fou à comprendre la logique des développeurs mais avec un peu de courage et de patience, on finit par arracher la solution avec une joie qu’on se garde bien de dissimuler. Chants of Sennaar fait en effet partie de ces jeux géniaux qui savent récompenser les efforts du joueur, non pas par l’obtention d’un objet rare ou d’un trophée quelconque, mais par le biais d’un sentiment de triomphe profondément satisfaisant. En résumé, vous aurez affaire à un jeu complexe et exigeant à sa façon mais qui en est d’autant plus passionnant.
Cohérence culturelle
Si la réflexion de Chants of Sennaar plaît autant, c’est aussi parce qu’il est intégré dans un environnement des plus plaisants. Par-là, comprenez que le jeu est tout simplement magnifique. Rivalisant tous de beauté et d’élégance, les différents étages de la tour sont une explosion de couleurs le tout dans un style graphique proche du cel-shading. J’ai personnellement beaucoup apprécié l’effort mis pour distinguer chaque étage par rapport aux autres avec des peuples différents, des architectures spécifiques et es palettes de couleurs bien distinctes. Même la structure grammaticale diffère d’une langue à une autre : un peuple à tendance à placer les COD/COI en début de phrases tandis qu’un autre va répéter deux fois le même mot pour le mettre au pluriel. Pendant quelques heures, on devient un véritable ethnologue avec un effort pour comprendre la façon de penser de tel ou tel peuple pour pouvoir en traduire la langue et compléter le codex accessible à tout instant.
Cette diversité de couleurs et d’environnements a le mérite de rythmer notre aventure. En ce sens, on saluera également l’intervention fréquente de gameplays différents : infiltration, course-poursuite, fabrication d’éléments et autres mécanismes ponctuels viennent varier vos activités de traduction. Même ces dernières prennent des formes variées d’un étage à un autre : observer les ordres d’un capitaine à ses soldats, s’amuser sur une console de jeu, assister à une pièce de théâtre… toutes sortes de micro-évènements sont disséminés pour avancer dans Chants of Sennaar. Bout à bout, ces épreuves vous feront atteindre le sommet de la tour et, si vous avez été assidus, vous permettront d’assister à la véritable fin du jeu, bien plus satisfaisante par rapport à celle que vous obtiendrez autrement. Mais nous n’en dirons pas plus : le génie de Chants of Sennaar s’apprécie dans sa progression et la compréhension de son message de fond.
Chants of Sennaar, Duolingo sauce Dark Souls - TEST
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Une incroyable aventure linguistique - 98%98%
Résumé
Chants of Sennaar mérite-t-il ses multiples récompenses ? En deux mots : oui, absolument. À la fois atypique et magnifiquement exécuté, ce jeu est une expérience totalement unique, en grande partie grâce à un game design ingénieux et diablement bien conçu. Le défi peut parfois être décourageant de complexité mais il en devient d’autant plus satisfaisant quand on parvient à en triompher. Et qu’importe le nombre d’heures nécessaire pour traduire tel ou tel glyphe obscur, on ne peut qu’apprécier le temps passé sur Chants of Sennaar : entre intelligence et esthétique, nous avons là un trésor du jeu vidéo et tout joueur qui se respecte se doit d’y prendre part.
Les +
- Des énigmes fascinantes
- Une grande diversité de gameplay
- Des décors somptueux
- Un beau message de fond
Les -
- Très difficile, peut-être trop pour les plus jeunes