Depuis dix-sept ans, c’est la même rengaine : à chaque sortie d’un nouveau Paper Mario, peu importe ses qualités, une minorité très bruyante de fans râle et s’énerve sous prétexte que “c’est nul parce que c’est pas comme La Porte Millénaire“. Nintendo a donc décidé de céder à leurs demandes et d’enfin leur offrir ce qu’ils réclamaient depuis tant d’années : un remake de leur jeu chéri. Une sortie que l’on peut applaudir, que l’on soit un fan ou non, car elle rend enfin ce jeu très coté sur le marché de la seconde main accessible au grand public, qui pourra juger si oui ou non ce titre est à la hauteur de l’aura qui l’entoure, ou si il n’est apprécié des fans que parce qu’il constitue un souvenir d’enfance ou d’adolescence heureux. À moins que la réponse ne se situe entre les deux ? Nous allons essayer de le découvrir.
Un tout nouveau papier cadeau
Évidemment, quand on quitte un jeu sur Game Cube pour le redécouvrir sur Switch, c’est l’upgrade graphique qui frappe en premier aux yeux. Alors oui, ce n’est pas la claque de Metroid Prime Remastered, oui, ce n’est pas en 60fps comme l’original, mais on s’en fiche un peu, car ce Paper Mario : La Porte Millénaire est fort attrayant visuellement, coloré et brillant par ses petits détails donnant vie à ce monde de papier. Et, il faut bien l’admettre, ces designs de personnages sont sans doute les meilleurs de l’histoire de la série d’Intelligent Systems, et sont d’autant sublimés par les petites animations qui leurs donnent vie et permettent d’amener ça et là quelques sourires. Car oui, comme tous les autres Paper Mario, le ton ici est léger et tous les prétextes sont bons pour tenter de faire rire le joueur.
Les gens ayant découvert la série sur 3DS, Wii U ou Switch pourront d’ailleurs être étonnés par l’humour plus physique et naïf de cet épisode, ressemblant beaucoup plus à ce qu’on pouvait trouver sur Super Mario RPG ou la série des Mario & Luigi qu’aux hilarantes répliques des personnages d’Origami King. À titre purement personnel, je trouve que les derniers épisodes sont beaucoup plus drôles que cette itération Game Cube, qui a de surcroît un peu trop tendance à désamorcer ses quelques situations dramatiques, mais je ne pourrais pas juger quelqu’un qui me dira le contraire.
Et puis le titre brille tout de même dans son écriture sur quelques points particuliers, notamment sur son émouvante fin, ainsi que sur l’excellent traitement du personnage de Viviane. Un personnage trans, une rareté dans le jeu vidéo tout court et de surcroît le jeu vidéo japonais en 2004 et qui est traité avec intelligence et respect, son parcours donnant droit à quelques répliques émouvantes. Évidemment, rien d’aussi précis et didactique que, par exemple, la quête d’Ayaka dans Yakuza 3 (pour citer un jeu vidéo japonais de la même décennie), mais la bonne représentation de Viviane a été importante pour de nombreuses jeunes personnes trans, et je trouve important d’applaudir et souligner ce travail, qui montre que le Japon est très loin d’être un pays aussi conservateur sur ces questions que les gens ne se l’imaginent.
Dur de trouver son (par)chemin
Mais cessons de digresser. L’histoire de Paper Mario : La Porte Millénaire s’ouvre sur notre chère Princesse Peach, tombant nez à nez sur une carte au trésor lors d’un voyage. S’empressant de transmettre celle-ci à Mario, elle va malheureusement se faire enlever (quelle surprise !) au passage, et notre cher plombier va donc devoir retrouver sept “gemmes étoiles” afin de pouvoir découvrir le mystère se cachant derrière le trésor et sauver au passage sa dulcinée. Comme vous pouvez vous en douter à la lecture de ce synopsis, l’histoire de ce titre sera très morcelée et découpée en chapitres clairs, chacun se consacrant à la recherche d’une étoile (avec quelques surprises que je ne vous gâcherai pas), le tout entrecoupé de passages annexes pas toujours passionnants où vous incarnez Peach et Bowser.
Cette structure a ses avantages comme ses inconvénients : si elle permet de varier les ambiances à intervalles réguliers, elle morcelle aussi le monde, autant physiquement que dans sa narration, ce qui peine à donner l’illusion au joueur d’un univers cohérent et uni. Ne serait-ce qu’une carte de ce monde dans un menu aurait permis de donner un peu plus de structure à l’ensemble, mais aussi d’adresser l’un des principaux soucis du jeu : l’absence de voyage rapide. Conséquence des limitations techniques de l’époque, sans doute, mais aussi choix de design permettant de rallonger inutilement la durée de vie (rappelons aux plus jeunes qu’une longue durée de vie était un critère de notation à part entière pour les magazines à l’époque de sortie du jeu), le titre nous force à faire de très nombreux aller-retours qui s’avèrent particulièrement pénibles à la longue, d’autant plus que les environnements en ligne droite ne permettent pas toujours d’éviter les ennemis et que l’on va de surcroît tourner un peu en rond par moments en cherchant les solutions pas toujours très claires aux énigmes du jeu.
Le quatrième chapitre est particulièrement symptomatique de ces problèmes, nous forçant non seulement à faire trois aller-retours entre un village et une église (un passage secret se débloquant heureusement pour le dernier va-et-vient), mais introduisant a fortiori une mécanique d’objets à pousser pour progresser sans qu’elle ne nous soit présentée. Sans être rédhibitoire, ce manque de respect du temps des joueurs pourra frustrer par moments, surtout pour ceux découvrant La Porte Millénaire en 2024, et d’autant plus pour un titre se vendant comme un remake et non un remaster.
C’est l’heure du kraft-maga
Si ces soucis sont reconnus, bien que parfois minimisés, par les fans, c’est souvent un point bien particulier de Paper Mario : La Porte Millénaire qui justifie autant leur amour du jeu que leur dédain des titres qui l’ont suivi : le système de combat. Loin des gimmicks des derniers épisodes, celui-ci se présente comme un système de J-RPG au tour-par-tour plus classique, gardant les mécaniques de Paper Mario 64, qui lui-même simplifiait celles de Super Mario RPG. Vous aurez donc le droit à un menu tout ce qu’il y a de plus classique, vous laissant choisir entre attaques normales et spéciales au saut ou au marteau, techniques spéciales, utilisation d’objets, et quelques autres actions comme vous défendre ou fuir. Les habitués du tour-par-tour ne seront globalement pas perdus, y compris par les actions nécessitant la pression d’un bouton dans un certain timing, mais La Porte Millénaire possède néanmoins quelques particularités.
En premier lieu desquelles la présence d’un public venu pour vous encourager lors de vos combats. Si la foule peut se montrer parfois aggressive, certains spectateurs tentant même de vous blesser, elle demeure bienveillante et il va falloir la satisfaire de toutes les façons possibles (en réussissant des attaques, en la saluant…), car elle vous permet de gagner à chaque tour de “l’énergie étoile” que vous pourrez utiliser pour lancer des techniques spéciales bien utiles. L’autre particularité du système de combat réside en la présence de badges à équiper : ceux-ci vous donnent des avantages en combat (plus de cœurs, meilleure défense...) ou vous permettent d’obtenir de nouvelles attaques. Le nombre de badges qu’il est possible d’équiper étant limité, ils apportent une dimension stratégique importante, tout en offrant une raison de les chercher dans les décors (et ils sont parfois bien cachés). Enfin, la montée en niveau n’augmente pas ici toutes vos statistiques mais vous offre simplement un choix : améliorer votre barre de vie, vos points de compétence (permettant de lancer les attaques spéciales), ou vos points badges pour pouvoir équiper plus de badges simultanément. À vous donc de choisir si vous préférer jouer la sécurité avec une barre de vie conséquente ou tout miser sur les attaques spéciales.
Si ce choix est intéressant, il est un peu dommage que la montée en niveau n’améliore pas l’attaque, ce qui est permettrait de mieux marquer la montée en puissance de Mario dans son aventure. On pourra aussi regretter la relative facilité de l’ensemble : on ne sera vraiment challengés que lors de certains combats de boss ainsi que dans un environnement facultatif vous demandant d’enchaîner cent combats, les vingt derniers étant d’une difficulté particulièrement retorse. En parlant des activités facultatives, on finira en soulignant l’existence de quêtes annexes apportant du contenu supplémentaire au jeu, tout en regrettant le design d’époque nous empêchant de pouvoir en suivre plusieurs simultanément. Entre une tradition parfois lourde et une modernité rafraîchissante, il ne manque pas grand chose à La Porte Millénaire pour atteindre les sommets.
Paper Mario : La Porte Millénaire, un jeu en carton ?
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Un bon remake, mais qui ne va pas assez loin - 80%80%
Un bon remake, mais qui ne va pas assez loin
Si la refonte graphique de Paper Mario : La Porte Millénaire est très réussie et qu’il conserve évidemment toutes ses qualités d’époque, comme ses personnages attachants ou encore son système de combat, le titre d’Intelligent Systems est malheureusement alourdi par un design d’époque, peu respectueux du temps du joueur, qui aurait bien mérité le même soin. En l’état, un très bon jeu que l’on conseillera sans souci à quiconque n’est pas rebuté par le tour-par-tour, mais qui l’empêche de s’envoler vers le statut de classique absolu auquel il aurait pourtant pu prétendre.
Les +
- Galerie de personnages attachants aux très bons designs
- Très joli travail du point de vue des visuels
- Structure en chapitres qui permet de varier les plaisirs et de ne pas trop s’ennuyer
- Système de combat intéressant
- Chercher et optimiser ses badges, toujours amusant
- Un jeu qui file le sourire de bout en bout
- Réorchestration des musiques qui surpassent les originales
- Viviane, tout simplement (et joyeux mois des fiertés à toutes et tous)
Les -
- Pas de voyage rapide
- Quelques énigmes absconses
- Trop facile
- Beaucoup trop d’aller-retours
- Moins drôle que les derniers Paper Mario
- Impossible de prendre plusieurs quêtes annexes simultanément