Après l’échec Immortals Of Aveum, le label EA Originals revient. C’est lors des derniers Game Awards que Tales Of Kenzera ZAU s’est montré : metroidvania d’action, mettant en valeur et en image une culture bantoue très majoritairement inconnue des populations occidentales. Est-ce que le label revient sur une belle lancée, après l’immense succès It Takes Two ? La réponse est plus compliquée que ça.
Un enrobage saillant…
C’est sur un récit touchant que commence l’idée « Tales Of Kenzera ZAU ». Abubakar Salim, acteur et producteur britannique (Jamestown, Raised by Wolves), fonde Surgent Studio avec une idée en tête : parler du deuil. Il y a plus de 10 ans, son père décédait d’un lymphome alors qu’il terminait à peine son école d’art dramatique. Une expérience brutale et un processus de reconstruction qui mène à la création d’une œuvre vidéoludique : un hommage à son père, qui l’avait lui-même plongé dans les jeux vidéo quand il était petit.
À travers cette œuvre, qui conte l’histoire de la perte qu’il a subi, le directeur du studio a souhaité mettre en lumière la culture et mythologie bantoue. Un tour de force dans une industrie ou les cultures occidentales et asiatiques sont surreprésentées, laissant peu de place à des territoires et cultures africaines. C’est un premier succès pour le jeu, qui offre très rapidement un dépaysement : de la jungle luxuriante aux plaines arides, en passant par des grottes profondes aux teintes violacés chatoyantes, difficile de ne pas croire que les équipes artistiques de Surgent Studio se sont amusées, quand il a fallu mettre en place cet univers.
Pour accentuer l’immersion, les équipes ont tenu à offrir un doublage 100% en swahili. Un procédé de plus en plus employé par les studios (Prince Of Persia avec le farsi, Tchia avec le drehu) qui pousse le joueur à s’imprégner de l’enrobage du jeu. Le doublage, maîtrisé et bien dirigé offre une véritable plus-value à chaque dialogue du jeu, lui qui n’en manque pas. Et bien sûr, les moins aventureux ne sont pas oubliés avec un doublage Anglais, ou Abubakar Salim campe le rôle principal.
Tales Of Kenzera ZAU nous raconte une histoire dans une histoire : celle de Zuberi, un jeune homme qui vient de perdre son père. Pour le réconforter, sa mère, lui transmet le dernier présent de son paternel : un roman qu’il a écrit avant sa mort. Zuberi, se lance dans la lecture, et c’est là que l’autre histoire commence vraiment. On incarne Zau, un jeune Chaman qui a lui aussi perdu son père. Noyé par le chagrin, il invoquera Kalunga, dieu de la mort, pour lui proposer un marché : tuer trois esprits qui ont trompé la mort pour ramener son père à la vie. Une promesse dangereuse, prévient le dieu, et Zau, aveuglé par le deuil et la peine n’est pas prêt d’entendre raison. Une structure qui rappelle un certain Shadow Of The Colossus, mais qui à l’inverse semble cousue de fil blanc et explicite sur sa conclusion et sa morale.
Le jeu superpose sa narration sur le modèle Kübler-Ross, qui explique que le deuil se fait en cinq étapes (le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation). Ce modèle, créé par la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross, a été utilisé dans de nombreux films et séries, mais cette manière de penser et de voir le deuil est aujourd’hui très décriée et a été contredite dans de nombreuses études. Les auteurs manquent l’occasion de proposer quelque chose de moins téléphoné en décidant d’emprunter à cette théorie, vu et revue.
Mais plus que dans la structure de sa narration, c’est par l’écriture et le jeu de ses dialogues que Tales Of Kenzera ZAU réussit le mieux à raconter son histoire. Zau et Kalunga vont collaborer et échanger tout du long, mêlant le côté prétentieux et fougueux du jeune homme à la sagesse impénétrable et énigmatique du dieu.
Difficile de conclure cette partie sans mettre un point d’honneur au travail de composition effectué par Nainita Desai (Que vous avez déjà pu entendre sur les œuvres de Sam Barlow : Telling Lies et Immortality). La compositrice, laisse la place à de nombreux instruments africains et mélange brillamment les sonorités, entre orchestre où nombreux instruments jouent de concert, et formations plus intimistes pour varier entre les séquences d’actions et d’explorations du jeu.
…Qui ne cache pas les nombreux défauts.
Qui aime l’originalité ne pourra s’empêcher d’avoir un œil curieux devant Tales Of Kenzera, et là où le bât blesse, c’est manette en main. Alors que l’œuvre d’Abubakar Salim semble en tout point maîtriser son sujet quand il s’agit des éléments cités précédemment, il semble oublier le plus important : être un bon jeu vidéo.
Aux premiers abords, le jeu se présente comme un metroidvania. Un choix explicité par l’auteur, qui voit dans le genre « une bonne allégorie du deuil : vous vous retrouvez projeté dans un événement ou un lieu hostile, dont vous ignorez tout, et votre expérience y sera unique au monde » (Abubakar Salim via Gamekult).
Dans la forme, effectivement, on y est : vue de côté, obtention de pouvoirs nécessaires à la progression, petits chemins annexes. Mais dans les faits, les développeurs ont oublié tout ce qui fait le sel du genre. L’exploration est totalement mise de côté, le jeu dévoilant entièrement la map et ses recoins, tout en appliquant un marqueur d’objectif orange bien visible sur notre prochaine destination. Si vous souhaitiez vous creuser la tête et espérer vous perdre dans cet univers original, c’est peine perdue, le jeu ayant la fâcheuse manie de vouloir constamment vous tenir par la main.
La linéarité du titre empêche pendant les premières minutes de jeux de réaliser quel impact aura votre personnage sur son environnement : rien n’est inaccessible, peu de voies différentes s’offre à vous, tout est calculé pour vous faire progresser.
Et tout est calculé pour vous rendre COMPLÈTEMENT FOU lorsqu’il s’agit de phases de plateforme. Si vous êtes des habitués du genre, ou que vous avez récemment joué à Prince Of Persia : The Lost Crown, Céleste ou Super Mario Bros. Wonder, fuyez à tout prix. Tales of Kenzera propose des phases de plateforme absolument sidérantes de médiocrité. Avec des distances entre deux murs qui ne sont pas en corrélation avec la distance que peut traverser le personnage, mais surtout des passages jonchés de ronces mortelles, qui ont des hitboxs absolument incompréhensibles et qui vont gâcher une bonne partie de vos tentatives. Dans son univers, le jeu propose quelques défis « plateforme » optionnels, et après vous êtres cassés les dents sur le premier, vous risquez de ne pas tenter le diable sur un second.
Le système de combat réussit à faire mieux, sans jamais faire d’étincelles. Un système de dualité, qui joue sur les capacités du personnage, qui possède deux masques : un masque de la lune et un masque du soleil. Chacun possède sa spécialité : le soleil se concentre sur les attaques aux corps-à-corps, celui de la lune sur le combat à distance. Une méthode simple et efficace, même si le jeu ne cherche pas à complexifier ses systèmes. Un petit arbre de compétence permettra d’obtenir des améliorations, sans modifier la base du gameplay.
Mais ce qui coûte encore des points à Tales Of Kenzera, ce sont ses arènes de combats : parfois trop resserrées, parfois trop basses pour voir les ennemis, et surtout ENCORE jonchés de ronces sur les côtés, qui peuvent mettre fin à vos combats si vous avez la maladresse de les toucher (ce qui arrivera trop souvent, l’esquive étant un dash).
Difficile d’être trop sévère avec la première tentative d’un nouveau studio de jeux vidéo, qui plus est dans un genre qui requiert de sacré compétences en level design. Mais on peut légitimement se questionner sur la position d’Electonic Arts et de son label Originals. Ne sont-ils pas censés apporter leur expertise pour que ces petits studios mènent à terme un projet de qualité ? Après l’échec Immortals Of Aveum, il est étonnant de voir que certains problèmes, pourtant flagrant, aient pu passer entre les mailles du filet de l’éditeur.
Tales Of Kenzera: ZAU - L'habit ne fait (malheureusement) pas le moine - TEST
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L'habit ne fait pas le moine - 50%50%
L'habit ne fait pas le moine
La note est sévère, mais tout était trop crispant pendant ces quelques heures de Tales Of Kenzera ZAU. S’il a pour lui ses jolis visuels, de ses inspirations et de son casting, rien ne sert la partie ludique. À partir du moment où on a de nombreuses références dans le genre, l’œuvre d’Abubakar Salim n’aura rien d’autre qu’un goût fade. La faute à qui ? Peut-être EA et sa gestion, mais on reste curieux à la prochaine tentative du studio (s’il y a…), car du talent, il y en a, reste à trouver le style de jeu qui correspond.
Les +
- Artistiquement séduisant
- La culture africaine en avant
- Acting de qualité
- Doublage en Swahili
- La dynamique entre les deux personnages principaux.
Les -
- Level design ronronnant
- Aucun appel à l’exploration
- Des phases de plateforme exécrable
- Scénario cousu de fil blanc