INTERVIEW : Fabrice Breton et son expérience de développeur solo

Demetrios

Ce n’est plus un secret : la Nintendo Switch est devenue un point de rendez-vous immanquable pour les développeurs indépendants et leurs productions. Mais comment se déroule la soumission de tels titres à Nintendo ? Peut-on développer soit même ce genre de jeu tout seul de A à Z ? Switch-Actu tente de répondre à vos questions, et plus encore, grâce à notre interview de Fabrice Breton, fondateur du studio CowCat Games et créateur du jeu loufoque Demetrios qui arrivera sur le Nintendo eShop le 3 décembre. Fabrice Breton nous présente son jeu, son principe et nous parle de son expérience de développeur solo et de sa vision de la scène indépendante dans cette série de questions/réponses.

Switch-Actu : Pouvez-vous nous présenter Demetrios ?

Il s’agit d’un jeu d’aventure loufoque où tout est permis ! Il se déroule comme un Point & Click habituel mais à la vue 1ère personne et se rapproche aussi un peu du genre « Visual novel ». Un mélange d’énigmes, de dialogues et et de possibilités d’interactions marrantes. Le personnage peut mourir de X façons différentes ! D’ailleurs on peut « collectionner » les gameovers.

Fabrice Breton

SA : Comment vous est venu le concept de Demetrios ?

Après avoir joué aux Chevaliers de Baphomet et Discworld 2 sur PS1, j’avais envie de réaliser un jeu du même genre. Ça a vite dévié sur une approche plus personnelle. Cette première version du jeu était techniquement terminée (développée de 1999 à 2002 alors que j’étais au lycée) mais n’a jamais été commercialisée. Le marché n’était pas le même à l’époque, impossible de s’en sortir sans éditeur. Plus tard j’ai voulu retenter l’expérience en faisant un remake total du jeu. Cela a pris deux ans temps plein et c’est cette version que vous avez sur votre Switch.

Fabrice Breton

SA : Combien de temps vous a pris son développement sur Nintendo Switch ?

Tout dépend de quoi vous parlez ! De temps de développement « pur » ou du délai ? Dans les processus de soumission de jeux sur consoles, il y a souvent des moment d’attente. (Un peu moins sur Switch car la classification d’âge peut être réalisée via IARC en ligne, c’est gratuit alors que le PEGI est nécessaire sur PS4, prends 3 semaines et coûte des biftons).

 

Ça va peut être vous surprendre mais en terme de temps effectif je pense avoir passé tout au plus quinze jours pour faire ce portage. Le fait d’avoir repris beaucoup d’éléments tels que la jouabilité manette de la PS4 et les contrôles tactiles de la Vita ont permis d’aller beaucoup plus vite.

 

J’ai développé le jeu avec le moteur GameMaker Studio (utilisé aussi par Undertale par exemple) et j’ai attendu avec impatience la sortie de l’export Switch qui est apparu cet été. Avec GameMaker et Unity les portages consoles sont très simplifiés. On peut quasiment reprendre le même code tel quel, juste avec une ou deux subtilités.

Fabrice Breton

SA : Vous vous présentez comme «  un développeur solo », vous avez donc développé Demetrios seul de A à Z ?

Oui ! J’ai quasi tout fait : programmation, graphismes, textes anglais et français, et mêmes certaines musiques. Sans compter les aspects moins marrants : comptabilité, marketing etc…

Fabrice Breton

SA : Comment se déroule la soumission d’un titre à Nintendo ? Avez-vous reçu une aide de leur part pour le développement sur Switch ? Comment se sont déroulés les échanges avec eux ?

Comparé à Sony et même Microsoft, c’est que du bonheur ! Quasiment tout est bien pensé, clair, bien documenté, étape par étape, sur un seul site etc… Et joie immense, on peut soumettre un seul build pour le monde entier ! (pas possible chez Sony, il y a au moins deux builds à faire : USA et Europe) Aucun problème particulier non plus du coté des pré-requis techniques (certification), par contre quelques soucis de délais avec la soumission des infos sur le store – visiblement ils sont pris de court face à l’afflux des jeux…

 

Tout ceci a d’ailleurs permis de sortir une démo assez rapidement et j’en ferais de même pour les jeux suivants que je porterais sur cette console (indice – j’ai porté deux autres jeux sur PS4/Xbox). Je pense que Nintendo a fourni de gros efforts pour que les indés viennent en masse sur la console car je me doute que ce n’était pas aussi simple sur les consoles précédentes.

 

C’est même TROP facile. Le revers de la médaille, c’est que la visibilité va largement en pâtir… On a bien vu ce que ça donne avec Steam de nos jours.

Fabrice Breton

SA : On considère la Switch comme « la plateforme des indépendants ». Est ce justifié selon vous ?

Entièrement. De part sa facilité de soumission et son form factor (les indés se prêtent bien à la portabilité), mais aussi de son public. En effet le public Nintendo est plus réceptif à acquérir des « petits jeux originaux / colorés » en dehors des grosses sorties Nintendo, contrairement au public Sony/Microsoft qui est plus influencé par le marketing des grosses productions AAA. Ça fait du bien de voir des indés en haut des charts et devant de grosses pointures tels que Fifa !

Fabrice Breton

SA : D’un point de vue hardware, la Switch est-elle difficile à appréhender ?

Pour les jeux en 2D que je développe, elle est parfaite (que ce soit en pixel art ou graphismes 1080p), rien à dire de plus. J’étais déjà content de la Vita mais qui nécessitait quelques optimisations tout de même (surtout à cause de son CPU très faiblard), là tout tourne parfaitement « out of the box ».

Fabrice Breton

SA : Parlons de vous maintenant ! Quelles sont vos autres expériences dans l’industrie du jeu vidéo ?

Avant Demetrios j’avais déjà fait pas mal de petits jeux mais jamais rien de commercialisé. J’ai commencé à développer Demetrios (en tout cas la nouvelle version) après avoir quitté mon boulot de développeur (logiciels pour hôpitaux) au bout de 7 ans. J’ai pris un risque qui a fini par être payant à force de patience et de travail (environ 60h par semaine).

 

Après la version Steam, j’étais intéressé par sortir mon jeu sur console et Sony m’a loué gratuitement un kit pour la PS Vita, c’est comme ça que je suis devenu développeur console. Puis j’ai été contacté par Diabolical Mind, un développeur espagnol, afin de réaliser des portages de ses jeux sur consoles. J’ai donc porté (et amélioré!) le roguelike Xenon Valkyrie+ et le twin stick shooter Riddled Corpses EX sur PS4/Xbox/Vita.

 

Pour plus d’infos je vous invite à voir mon long Post Mortem qui explique tout.

Fabrice Breton

SA : Travailler dans ce secteur a-t-il toujours été une vocation pour vous ? Comment avez-vous atterri dans cette industrie ? (Formation, parcours etc…)

Oui, clairement. J’ai commencé à faire des jeux à l’âge de 7/8 ans sur un Amstrad CPC 6128. J’ai fait des études informatiques générales (IUT informatique, licence et master informatique) et comme précisé j’ai trouvé un boulot de développement qui m’a permis d’économiser pendant toutes ces années, tout en gardant à l’esprit de réaliser ce rêve.

Fabrice Breton

SA : Auriez-vous des conseils à prodiguer à ceux qui voudraient, comme vous, faire du jeu vidéo leur métier ?

Mettez des sous de côté – beaucoup !!! Et attendez-vous toujours au pire.

 

Malgré ses bonnes notes, Demetrios n’est pas un jeu qui se vend bien, loin de là – mais c’est le fait de l’avoir sorti sur toutes ces plateformes qui fait que je peux en vivre aujourd’hui. Cf le postmortem plus haut où j’explique tout ça.

 

NB : Je travaille sur un nouveau jeu d’aventure très ambitieux, un mélange de genres qui n’a jamais été fait auparavant. Vous pouvez me suivre sur Twitter : https://twitter.com/COWCATGames

Fabrice Breton

Nous tenons à remercier sincèrement Fabrice Breton pour avoir pris le temps de répondre à nos questions avec autant d’honnêteté. Nous espérons également que cette interview vous aura plu et qu’elle vous aura permis de découvrir, au moins en partie, l’envers du décor de la scène indépendante de l’industrie ! Au passage, sachez que nous vous proposerons prochainement un test de Demetrios lors de sa sortie !

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LatoJuana
750 articles

Gamer de 26 ans avec un penchant pour les jeux racontant de belles histoires. Je suis rédacteur sur le site depuis 2017. Zelda reste ma licence de cœur mais j'aime découvrir des jeux de toutes sortes !

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Très chouette itw, entièrement d’accord avec le parallèle steam/eShop

DesBen

Le parallèle fait avec Steam est très intéressant. Une plateforme bénie des Dieux pour les indés qui se transforme vite en enfer sur Terre. Espérons que Nintendo parvienne à réguler le tout d’une certaine façon pour permettre à tout un chacun de se faire sa place si tant est que le jeu proposé soit bon.

J’ai essayé la démo de Demetrios et c’est … particulier. Et monsieur Breton devrait reprendre des cours de marketing pour l’affiche de son jeu, ce n’est pas très vendeur (et négatif) de voir un personnage la main sur la tête ! (de déception sans doute)

DesBen

L’idée étant de pouvoir mourir de X façons différentes, je trouve que ça colle au jeu 🙂