Il n’aura fallu qu’une seule et unique œuvre à Nomada Studio pour s’imposer dans le paysage vidéoludique. En créant Gris, les barcelonais ont, par une maîtrise artistique sans pareille, réussi à conquérir le cœur de nombreuses personnes. Avec trois millions d’unités vendues, il était clair que le studio n’allait pas laisser les amoureux de leur art orphelins et orphelines. C’est ainsi qu’est née Neva, nouvelle aventure qui ambitionne de mettre dans le train ceux qui ont été laissés sur le quai par leur précédent projet.
QUAND LES DEUX MIYAZAKI INSPIRENT LES BARCELONAIS
Neva commence par un vol d’oiseau, paisible et majestueux. Mais la quiétude des battements d’ailes de l’animal finit par se briser soudainement, et il tombe, raide mort sur le sol. De son corps inerte gisent d’étranges fleurs noires et grisâtres. Cette chute, une jeune femme nommée Alba, l’a bien remarquée. Elle est accompagnée par une grande et majestueuse louve ornée de bois de cerf, et de son petit louveteau. Alors qu’Alba s’approche du cadavre de l’oiseau, une vague obscure s’approche des trois compagnons. Cette vague n’est rien d’autre qu’un amas de monstres humanoïdes au visage blanc et au corps noir, venu perturber le calme du décor. Une fois l’orage passé, la femme se réveille, le cadavre de la louve à quelques mètres. La voilà donc seule, avec cette petite louve aussi inoffensive que mignonne : Neva.
Les premières secondes du jeu sont sans équivoque ; vous avez aimé l’art de Gris ? Alors vous risquez de succomber aisément à celui de Neva. Nomada Studio n’a pas tenu à rééditer sur les mêmes bases, exit l’aquarelle, Neva s’inspire de son côté un peu plus du pointillisme en termes de courant artistique. Pas sur toute son œuvre, mais les décors sont ornés de taches de couleurs qui forment à elles les feuilles des arbres, les fleurs sur le sol et les murs. L’ensemble se regarde avec emballement. Malgré une différence évidente quand on superpose Gris et Neva, Nomada parvient à conserver son identité et sublime une nouvelle fois son travail.
Cela n’étonnera pas les connaisseurs, mais c’est du travail de Miyazaki dont se sont inspirés les créateurs. Mais lequel ? Hayao ? Hidetaka ? On ne fait pas de choix, on prend les deux. Chez Nomada, on s’inspire du génie de Fromsoftware et celui de Ghibli. Au niveau du design, c’est vers Hayao Miyazaki que penche Nomada, avec des références à peine dissimulées au Voyage de Chihiro, et évidemment à Princesse Mononoké.
Mais comme l’expliquent les équipes dans un making-of, ils souhaitaient aussi capturer l’émotion que les ambiances des jeux de Fromsoftware arrivent à dispenser. Vous vous souvenez de votre arrivée à Anor Londo dans Dark Souls ? La découverte de Liurnia dans Elden Ring ? Et bien, c’est l’émotion de ces découvertes qu’essayent d’amener les Barcelonais, et ça fonctionne. En à peine trois heures, j’ai dû étouffer plusieurs gloussements de joie devant certains panoramas absolument fabuleux. Neva en profite pour nous faire voyager dans le temps, en se structurant autour des 4 saisons, et par conséquent, en ajustant toujours les couleurs bien comme il faut pour nous caresser la rétine.
Mais cette beauté ne se fait pas toujours sans défauts, la grâce des décors laisse parfois la visibilité de côté, et encore plus si vous jouez en mode portable. Un souci déjà évoqué avec Gris, à croire donc que ce choix de dézoom sur les décors reste un choix purement artistique et bien revendiqué par les équipes, mais qui pourra forcer certains joueurs à plisser les yeux par moment. Grand bien lui fasse, les phases d’actions ne prennent jamais place dans ces conditions.
Si la direction artistique avait fait l’unanimité avec Gris, la direction musicale n’était pas en reste. Le groupe Berlinist revient sur Neva avec encore de délicieuses sonorités qui vous donneront autant le sourire qu’elles vous tireront une larme. Parfaitement intégré à la narration, le groupe prouve (une fois de plus) son talent à la composition d’œuvres émotives.
LOUVE YOUR BODY
Si on parlait précédemment des inspirations autour des studios Ghibli, Neva pousse plus loin avec l’animation japonaise. En effet, les mouvements des personnages, et principalement d’Alba que l’on incarne, sont sans conteste très inspirés de l’allure des animés. Chaque coup de sabre, chaque saut d’Alba respire le pays du soleil levant. Le jeu impressionne jusqu’à son terme, avec des évolutions d’animations à chaque étape du jeu qui ne cessent de changer la perception de l’action. Ces qualités d’animations, elles se ressentent manette en main. Car oui, si Gris était déchargé de phases d’actions, les Catalans ont opéré un virage assez drastique sur le gameplay en y incorporant du combat.
Rien qui ne réinvente la roue : Alba peut donner des coups, peut faire une roulade, dasher… Tout l’arsenal habituel de la combattante dans un jeu vidéo. Mais, pour un studio qui s’y essaye pour la première fois, l’essai est converti d’une très belle manière. On y revient, l’excellence de l’animation alliée à une palette de mouvement complète rendent les combats diablement jouissifs à regarder et dans lesquels on ressent chaque impact de nos coups. J’ai été littéralement transporté par le flow du jeu tant le triptyque « visuel, audio et gameplay » ne font qu’un par moments. L’efficacité des combats réside aussi dans la capacité du jeu à ne jamais en faire trop : pas une fois, je me suis dit qu’on avait une vague d’ennemis en trop ou alors que ce combat n’avait pas sa place ici. J’ai accueilli chaque moment où Alba saisit son sabre comme un bon moment, et une gestion du rythme aussi efficace, ça n’arrive pas souvent. (Je joue à Dragon Age 4 actuellement, je sais de quoi je parle.)
À cela, s’ajoute un bestiaire peu varié et pas vraiment des plus originaux. Mis à part un type d’ennemis, que je n’avais jamais vu auparavant et qui, je pense, risque d’interpeller certains développeurs tant la mécanique est efficace. Ces derniers ont un cube à la place de la tête et s’affaireront à vous écraser contre les murs ou à vous projeter dans le vide, c’est pas très sympa.
Si Neva est un jeu d’action, il implémente aussi quelques phases de plateformes et de réflexions. Le jeu réussit encore une fois ici à poser quelques idées et à montrer qu’il en maîtrise d’autres avec des séquences de plateformes « à la Portal » plutôt efficaces. En guise d’objectif secondaire, le jeu se permet aussi des phases de plateformes plus corsées, mais qui (pour certaines) ne font que ralentir le rythme du jeu. Le mélange de toutes ces composantes donne un jeu au rythme maîtrisé et qui ne se perd jamais dans une surcouche de gameplay qui n’aurait fait que nuire à ce que le jeu veut nous raconter.
ÇA NEVA PAS BIEN.
Si Gris a autant eu de succès, c’est parce qu’il avait quelque chose à raconter. Le deuil, la dépression, la mort étaient à bien des égards présents dans chaque tableau du jeu, où l’on devait aider Gris à aller au bout du chemin. Neva, lui, s’approprie le thème de la parentalité. En recueillant Neva à la mort de sa mère, Alba devient la figure maternelle que la petite louve a perdue au début de l’aventure. Ce rôle qu’endosse désormais le joueur, Nomada s’attache au mieux à nous le faire ressentir. Au tout début, Neva est sans défense, joueuse et naïve. Elle ne peut pas vous venir en aide, c’est surtout vous qui allez devoir la sortir des mauvaises situations dans lesquelles elle se fourre.
Vous vous inquiétez pour elle, et le personnage d’Alba aussi. Les développeurs ont d’ailleurs réussi d’une manière ingénieuse à nous faire ressentir l’état d’esprit du personnage à travers une touche qui nous permet d’appeler Neva, le seul mot que prononcera Alba tout au long du jeu. Elle l’appellera avec joie, avec agacement, et parfois avec inquiétude lorsque l’on perd la louve de notre champ de vision. Par l’utilisation d’un seul mot que le joueur peut faire prononcer à Alba quand il veut, le jeu transmet beaucoup d’informations. Au fil des saisons, Neva grandit, et ses responsabilités aussi. Elle prend plus d’assurance et fini par ne plus avoir besoin de notre assistance. Au contraire, c’est elle qui va venir nous aider quand on se retrouve en mauvaise posture, l’enfant devient adulte, et c’est lui qui nous épaule.
La transmission est aussi l’un des grands thèmes du jeu, Alba part en quête des maux du monde pour y mettre fin et ne pas laisser Neva dans un monde gangréné. Là, c’est la réalité qui prend le dessus et qui ne peut que nous faire penser aux désastres écologiques que le monde subit et subira dans les années à venir. On peut aussi y voir une critique des politiques actuelles à travers l’antagoniste principal du jeu, qui, dans sa manière d’être représenté peut évoquer les nouveaux cultes de la personnalité que l’on voit jaillir chez certaines personnalités politiques (Trump, Bolsonaro, Milei). Et pour rien au monde, nous ne voudrions céder un monde aussi corrompu et désolé à notre descendance.
Neva, une fin de loup
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Neva, une fin de loup
Je parlais des gens laissés sur le quai par Gris en introduction. Je vous le dis en conclusion : j’étais sur ce quai. À vrai dire, je suis rentré dans le train, mais malgré l’amour que je portais à la direction artistique et à la musique de Berlinist, je suis resté imperméable à ce que Gris racontait et je suis descendu au premier arrêt. Mais quand, en gare, on a annoncé la nouvelle œuvre de Nomada Studio, je me suis dit qu’il ne me coûterait rien de reprendre une place. Grand grand bien m’en fasse, car Neva m’a laissé pantois du début à la fin. De son rythme à sa narration, en passant par sa gestuelle, son ahurissante beauté et ses thématiques, Neva est une œuvre des plus abouties qui mérite toute votre attention.
Les +
- Beau à s’en crever les yeux
- Émouvant
- Des thématiques brillamment exploitées
- Un travail d’animation bien inspiré
- La touche pour appeler Neva
Les -
- Des plans larges qui peuvent (rarement) nuire à la lisibilité en portable. (et parce qu’il fallait mettre un défaut)