Et oui, 10 ans déjà que nous nous sommes perdu·e·s dans les contrées hostiles de Lordran. Entre pièges retords et ennemis surpuissants, la saga des Dark Souls s’est rendue célèbre pour sa difficulté punitive qui ne pardonne pas les joueuses et joueurs imprudent·e·s et oblige à faire preuve d’une vigilance, d’un sang-froid et d’un investissement cognitif que peu de titres peuvent se targuer de requérir de leur public. Mais pourquoi en parler sur Switch Actu me direz-vous ? D’abord parce que, même si le site ne comptait pas encore votre serviteur (et grand fan de la série) dans sa rédaction à ce moment-là pour en faire un test, nous avons bien eu droit à une mouture Switch du jeu culte de Hidetaka Miyazaki sur la console hybride à l’occasion de la sortie du remaster en 2018. D’autre part les jeux Souls, et en particulier le premier Dark Souls, mettent à l’honneur une certaine série de Nintendo qui se trouve être de nouveau au coeur de l’actualité. Mais nous y reviendrons. Parlons d’abord du contexte qui entoure la sortie de ce qui deviendra l’un des titres les plus influents de la dernière décennie.
Dark Souls et le jeu vidéo japonais
Dark Souls est arrivé en 2011, en pleine fin de la septième génération de consoles, d’abord sur PS3 puis sur Xbox 360 avant de connaître un portage sur PC en 2012 sobrement sous-titré “Prepare to die Edition”. Si ce titre a marqué, c’est aussi en raison de son contexte de sortie. En effet, avec la vague des graphismes HD photoréalistes et des open-world qui ont commencé à se multiplier à partir de l’ère PS3, les studios de jeux japonais ont connu une période assez difficile. Avec l’augmentation démesurée des coûts de production et la taille relativement modeste des studios japonais, ces derniers n’ont pas su tenir la cadence face aux AAA occidentaux. Certains titres, en essayant tant bien que mal de singer les jeux étrangers pour bien présenter d’un point de vue marketing, se sont ainsi pris les pieds dans le tapis avec fracas (souvenez-vous de Resident Evil 5 et 6, vous verrez de quoi je parle).
Si des jeux ont su se démarquer plus tôt comme un certain Bayonetta (qui souffrait malgré tout d’une version PS3 au rabais), titre que l’on peut difficilement imaginer venir d’ailleurs que du pays du Soleil Levant (son créateur Hideki Kamiya a toujours eu une patte particulièrement marquée), la plupart sont restés dans l’ombre car les Japonais ont eu du mal à faire la transition vers les nouvelles consoles à l’époque. Dark Souls s’inscrit quant à lui dans un renouveau des jeux japonais (même si là encore, ses performances techniques n’étaient pas phénoménales) qui transpirent l’identité du pays, ce qui peut paraître paradoxal.
Le jeu est en effet très inspiré par la dark fantasy à l’occidentale. On peut citer l’influence de Lovecraft (encore plus visible dans Bloodborne, production suivante de Miyazaki) ou de certains livre-jeux comme Sorcellerie!. Mais c’est bien dans le médium vidéoludique japonais que Hidetaka Miyazaki a aussi trouvé l’inspiration pour son jeu désormais culte. L’oeuvre de Fumito Ueda avec Ico l’aura convaincu que le jeu vidéo est le média qui lui permettra de concrétiser sa vision. Par ailleurs, From Software a déjà un passif avec la dark fantasy quand Miyazaki rejoint le studio, avec des titres comme les King’s Field ou Shadow Tower qui transpirent déjà cette patte lugubre et ce challenge brut qui reviendront dans Dark Souls. Enfin, comment ne pas citer une autre influence japonaise avec le manga culte Berserk, dont le regretté créateur Kentaro Miura, nous a quitté en mai dernier.
Si le jeu est entièrement doublé en anglais (qui est d’ailleurs la langue par défaut des voix, y compris dans la version japonaise), il s’agit bien d’un titre purement japonais par bien des aspects, comme nous l’avons vu, même si ses influences occidentales restent indéniables. La difficulté exigeante est toutefois un aspect que l’on peut attendre d’un jeu japonais, même s’il serait peu pertinent de résumer Dark Souls à cela. En effet, le titre de Miyazaki a bien plus à offrir qu’un challenge qui semble insurmontable au premier abord.
Pourquoi c’est culte ?
Dark Souls n’est pas un jeu comme les autres, et ce par bien des aspects. Tout d’abord, sa difficulté n’est pas injuste, contrairement aux idées reçues qui circulent sur le jeu. La volonté de Hidetaka Miyazaki n’était pas de punir les personnes qui joueraient à son jeu, mais bien de les récompenser face à l’adversité. Dark Souls est devenu une référence en matière de combat, en particulier d’animation, pour une bonne raison. Si les ennemis frappent très fort, leurs mouvements sont exagérés au possible, ils sont répétés et particulièrement lisibles. Ce travail sur la lisibilité des animations constitue la pierre angulaire de ses combats de boss. Décrypter ces mouvements et les comprendre afin de déjouer les assauts adverses constitue la satisfaction que le créateur souhaite nous transmettre à travers son titre.
Par ailleurs, le feedback dans les réussites passe aussi par des détails insoupçonnés. Les écrans de victoire sont particulièrement marquants, voir le fameux “Vous avez vaincu” apparaître en lettres d’or à l’écran procure toujours un sentiment indescriptible. Un écran que vous risquez de voir encore plus souvent est le désormais culte “Vous êtes mort”. Mais notez bien cette différence : il ne s’agit pas d’un simple “Game Over” ou “Partie terminée”. En effet, la partie ne s’arrête pas quand on meurt dans Dark Souls. La mort n’est qu’une étape sur le chemin constituant l’apprentissage. Cette dernière est d’ailleurs intégrée à la diégèse du jeu. Les humains sont frappés par la malédiction de la Marque Sombre qui les contraint à devenir des morts-vivants à leur trépas. La mort revêt donc une signification différente dans Dark Souls par rapport aux autres jeux vidéo.
Mais ce n’est pas seulement le challenge imposé par Dark Souls qui a rendu le jeu culte, son level design est également particulier. Ce dernier emprunte en effet pas mal d’éléments à une saga célèbre de Nintendo : Metroid.
Dark Souls et son rapport au metroidvania
Que l’on se comprenne bien : Dark Souls n’est pas un metroidvania. Même si de nombreux jeux aiment à s’affranchir de ce genre de cases, elles restent bien pratiques pour mettre un peu d’ordre dans cette production toujours grandissante. Et le titre de From Software ne peut pas vraiment se ranger dans cette catégorie car son fonctionnement est différent, plus proche dans sa progression du modèle du jeu de rôle dans lequel il rentre plus facilement.
Cela étant dit, le jeu partage des points communs avec la saga de Nintendo grâce à son level design. Dark Souls a un monde interconnecté constitué de différentes régions qui, au lieu d’être inaccessibles faute de la capacité appropriée, sont souvent ici bloquées par des portes verrouillées nécessitant la clé adéquate ou simplement par des boss. Par ailleurs, tout comme Metroid, le jeu de Miyazaki est friand des ascenseurs et autres monte-charges qui permettent de faire reboucler le monde sur lui-même. Tou·te·s les concerné·e·s se souviennent de leur descente depuis la Cathédrale des Morts-Vivants vers le Sanctuaire de Lige-Feu.
Sans être un représentant du genre, le modèle d’exploration de Dark Souls emprunte ainsi beaucoup à celui des metroidvania dans sa construction. Par ailleurs, ce dernier exploite même mieux la dimension verticale que ne le faisait un titre comme Metroid Prime par exemple, qui a beaucoup de zones assez “plates” en terme de répartition des salles. Le jeu culte développé par Retro Studios a sans doute malgré tout inspiré Miyazaki dans la construction du level design de Dark Souls. À l’opposé, l’influence du titre de From Software a elle aussi été visible dans le genre metroivania ces dernières années avec des titres comme Hollow Knight qui reprend ses combats aux animations millimétrées et sa mécanique de monnaie perdue et récupérable à chaque trépas. Plus récemment le très réussi Ender Lilies: Quietus of the Knight, qui s’inspire quant à lui beaucoup de Dark Souls pour sa patte visuelle médiévale lugubre et mélancolique ainsi qu’au niveau des thèmes abordés par le jeu (les combats y sont aussi bien chorégraphiés et difficiles à souhait).
Vous l’aurez compris, je ne souhaitais par parler du jeu culte de Hidetaka Miyazaki uniquement pour célébrer ses 10 ans. À seulement deux semaines de la sortie de Metroid Dread, il pourra être intéressant de constater si ce nouvel opus développé par Mercury Steam aura su tirer des leçons à la fois de l’influence d’un jeu comme Dark Souls, mais aussi des metroidvania qui se sont multipliés après le succès du titre de From Software et ont à leur tour utilisé certaines de ses mécaniques pour enrichir leur proposition et proposer du neuf. Metroid Prime 4 est également à surveiller. Cet opus qui s’annonce comme majeur aura-t-il toutes les cartes en main pour réussir à nous surprendre dans un monde dans lequel des chefs d’oeuvre comme Dark Souls et Hollow Knight ont laissé une telle empreinte ? Nous devrions le savoir dans quelques années.