Il est enfin là ! Prévu initialement sur Wii U, Yooka-Laylee a finalement atterri sur Nintendo Switch le 14 décembre. Simple madeleine de Proust ou vrai bon jeu ?
Vous souvenez-vous de votre enfance, de votre première console, de vos premiers jeux ? Pour un certain nombre d’entre nous, cette première console était la Nintendo 64, et les premiers jeux The Legend of Zelda: Ocarina of Time, Super Mario 64, Super Smash Bros… Une liste de classiques longue comme un bras, dans laquelle un certain Banjo-Kazooie ne détonnait pas, loin de là. A l’époque, Rare, le studio à qui l’on doit ce jeu entre autres, était en étroite collaboration avec Nintendo puisque ces derniers en étaient actionnaires majoritaires. Leur partenariat donna des titres qui ont marqué toute une génération de joueurs, avec Donkey Kong Country, Goldeneye 007, Killer Instinct, Jet Force Gemini… Malheureusement, beaucoup de bonnes choses ont une fin, et cette période dorée aussi : après des différends s’étalant sur plusieurs mois avec Rare, Nintendo cède ses parts à Microsoft en 2002. A partir de là, une période plus sombre s’ouvre pour le studio britannique : des titres avortés, des démissions, des projets pas à la hauteur de leur réputation, etc.
Dans ce tumulte, quelques anciens employés décident de fonder leur propre studio. Ainsi naquit Playtonic Games en 2015. Avec la création du studio, les développeurs annoncent qu’un jeu est en cours de création en leur sein : Project Ukulele. Playtonic Games fait appel au financement participatif pour lancer le projet, et c’est un succès colossal : 40 minutes après l’apparition du jeu sur Kickstarter, les fonds récoltés étaient déjà suffisants ! Alors qu’il demandait £175 000 initialement, le studio récolte un peu plus de 2 millions de livres pour développer son bébé.
Que pourrait expliquer un tel engouement ? Il faut aller chercher du côté de la ressemblance entre Project Ukulele, devenu Yooka-Laylee entre temps, avec l’emblématique Banjo-Kazooie.
Un univers enchanteur
Tout comme Banjo-Kazooie, Yooka-Laylee met en scène un duo de héros très attachant avec un caméléon (Yooka) et une chauve-souris (Laylee), au sein d’une aventure toute mignonne bien qu’assez simple : les deux compères partent à la chasse aux pages d’un livre magique unique, après que de vils personnages de la société Capital B aient décidé de s’approprier le pouvoir de celui-ci afin de gagner le plus d’argent possible. Le joueur va alors devoir parcourir les cinq mondes qui composent le jeu, reliés entre eux par un hub central très plaisant, à la recherche de ces fameuses Pagies et d’autres objets à collectionner, comme des plumes servant de monnaie ou encore des fantômes, etc. Les Pagies servent à débloquer de nouveaux mondes, ou développer ceux où on a déjà crapahuté, tandis que les plumes servent à acquérir de nouvelles capacités auprès de Trowzer, un serpent mercantile portant un pantalon.
Pour dénicher les Pagies, le maître-mot est l’exploration. Une très grande liberté est laissée au joueur, qui va devoir farfouiller chaque recoin en quête d’une Pagie ou d’un défi à effectuer pour l’obtenir. Les capacités ajoutées au panel de mouvement des héros sont alors très importantes, puisque la réussite des défis est conditionnée aux actions pouvant être effectuées par le caméléon et/ou la chauve-souris : roulades, vol plané, charge au sol, pour ne citer qu’elles, sont autant de mouvement qu’il faudra combiner pour accéder aux précieux sésames.
Très vite, on retrouve le même feeling qu’avec le jeu de la Nintendo 64. L’univers enchanteur, les bruitages réussis, les animations craquantes du duo font que l’on a envie d’allumer sa console et d’explorer les niveaux gigantesques qui composent le jeu. Manette en main, les commandes répondent parfaitement et l’action reste totalement fluide et claire en toute occasion. Les sauts sont précis, les combats contre les ennemis faciles (un peu trop même), et on ne pestera que contre la caméra qui, de base, est très dérangeante. Heureusement, un petit tour dans les réglages du jeu permet de pallier ce problème, pour reprendre sans souci le travail d’exploration.
… mais vide et peu amusant
Malheureusement, il y a un hic de taille. Aussi sublimes soient l’ambiance et de manière générale l’enveloppe du jeu, portées par une bande-son à se damner et un humour qui fait mouche, un constat s’établit après peu de temps : on ne s’amuse pas vraiment. Les mondes colossaux sont au final assez vides, et la collecte de Pagies ne se fera dans la plupart des cas que par une succession de défis peu intéressants. Pis, l’exploration n’est pas récompensée à sa juste valeur : vous venez d’escalader un endroit compliqué, après une belle phase de plate-forme ? Vous ne trouverez la plupart du temps rien pour vous gratifier. Sur Nintendo Switch, le jeu arrive après les mastodontes que sont The Legend of Zelda: Breath of the Wild et Super Mario Odyssey et la différence entre un jeu aux mécaniques qui sentent les années ’90 et deux jeux qui sont arrivés à se renouveler est saisissante.
On parlait à l’instant de l’exploration mal récompensée, une autre mécanique fait preuve de vétusté comparée à ces deux hits : les compétences à débloquer. Dans Zelda et dans Mario, dès le début de l’aventure ou presque, le joueur a accès à tout le panel de mouvements du personnage. Ainsi, il peut faire tout ce qu’il souhaite et surtout, lorsqu’il voit quelque chose à récolter (Korogu, Lune), il peut le récolter. Dans Yooka-Laylee, combien de fois se retrouve-t-on devant une Pagie que l’on ne peut atteindre à cause d’une capacité manquante ? Quand on débarque dans un monde, la première chose à faire est donc d’essayer de collecter le plus de plumes possibles pour acheter les capacités en vente chez Trowzer, afin de ne pas faire des allers-retours inutiles et frustrants.
Cette frustration se manifeste aussi à travers une autre mécanique du jeu : comme évoqué précédemment, les Pagies collectées servent à débloquer les mondes suivants, mais aussi à développer les mondes déjà débloqués. Concrètement, il vous arrivera d’explorer toute une partie d’un niveau, et de ne rien trouver à faire car les activités censées se trouver là, dont les combats de boss, sont soumises au développement du niveau. Dans Super Mario Odyssey, l’apparition de nouvelles lunes à récolter est conditionnée au “nettoyage” de la zone. Botter les fesses du boss du niveau fait apparaitre de nouvelles activités à des endroits inouïs. Dans Yooka-Laylee, on sent très vite qu’il doit y avoir une activité à faire à cet endroit, sans qu’elle soit disponible. Rageant !
L’autre conséquence de cette mécanique fait que la comparaison avec Super Mario Odyssey est d’autant plus difficile pour Yooka-Laylee. Dans Mario, quand le joueur a récolté suffisamment de lunes, il peut choisir d’aller dans un autre monde ou de rester dans le monde actuel afin de poursuivre les recherches. Ici, l’un ou l’autre de ces choix aura des conséquences : si le joueur veut continuer à explorer le niveau, il devra dépenser des Pagies pour développer le niveau, retardant ainsi la découverte d’autres mondes car il faudra refaire un stock de Pagies suffisant. Frustrant là aussi. Surtout, cela donne un sentiment d’inachevé : quitter un monde pour un autre sans avoir battu le boss ou passé un quelconque “milestone” a tendance à perdre un peu le joueur. Ai-je fait les choses comme il faut ? Est-ce que je passe à côté de quelque chose ?
Une réussite technique, de belles promesses pour la suite
Et pourtant, on aurait aimé l’aimer, ce Yooka-Laylee. Faisons fi des ennemis génériques au possible, du manque de difficulté, des bruitages absolument ignobles lors des dialogues (heureusement désactivables dans les options). Sur Switch, le portage est magnifique : en salon comme en portable, les couleurs sont chaudes, la distance d’affichage bonne, la résolution fine, le frame-rate solide. C’est un excellent travail de portage, tout à fait remarquable, qu’ont effectué les équipes en charge de la mouture Nintendo.
Yooka-Laylee est donc presque parfait sur de nombreux points. La direction artistique, la bande son, la prise en main et la technique sont autant de preuves du talent des développeurs de chez Playtonic Games. En revanche, il leur a manqué de la créativité pour donner naissance à une expérience amusante, non répétitive et mieux rythmée malgré quelques bonnes idées. Il sera très intéressant de suivre les prochaines sorties du studio, car il ne manque au final pas grand chose pour donner un vrai bon jeu. Si l’on dépasse le sentiment de déception qui s’en dégage, cette première production est très solide.
Avis final
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Avis final - 65%65%
Résumé
Il avait tout pour plaire, mais son manque de fun vient gâcher le tableau. Yooka-Laylee est donc une madeleine de Proust avec un goût amer, le genre de confiseries que l’on aimait étant petit mais qui a mal vieilli. En dépit de ses défauts, Playtonic Games frappe fort pour son premier titre, en donnant un aperçu de la maîtrise de ses développeurs sur de nombreux aspects, notamment techniques. Irréprochable au niveau de l’enrobage du jeu, y compris les contrôles, il aura manqué quelques bonnes idées pour imposer Yooka-Laylee comme un hit aux yeux de tous, et pas seulement auprès des fans inconditionnels de collecathons. Gageons que le prometteur studio britannique saura faire encore mieux pour son prochain jeu.