Xenoblade Chronicles : une brève analyse philosophique

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Quelques précisions, pour commencer : cet article va tenter de découdre les thèmes philosophiques importants de Xenoblade Chronicles, qui vient de ressortir sur Switch dans une superbe Definitive Edition. Cette analyse va énormément se baser sur la fin du jeu, et nous vous conseillons donc de ne pas la lire si vous n’avez pas encore fini celui-ci, tant il se base sur les retournements de situation. De même, j’aimerais ajouter que j’écris ces mots en tant qu’amateur de philosophie : il est donc possible que je fasse des raccourcis et qu’il contienne des imprécisions ; auquel cas, n’hésitez pas à me les signaler.

Ce n’est pas un secret que le créateur et directeur exécutif de la saga Xenoblade Chronicles, Tetsuya Takahashi, est un grand amateur de philosophie européenne : après tout, les sous-titres des trois épisodes de sa Xenosaga (« Der Wille zur Macht », « Jenseits von Gut und Böse » et « Also sprach Zarathustra ») sont tous tirés de l’œuvre de Nietzsche, et sa ludographie contient aussi des références directes ou indirectes à celle de Jung, Lacan et Freud. Néanmoins, de par sa direction artistique et son histoire très shōnen, cette influence peut sembler moindre dans le J-RPG paru sur Wii en 2011. Il a cependant caché dans celui-ci des thématiques philosophiques intéressantes qui font qu’aujourd’hui encore, celui-ci résonne dans le cœur de ceux qui y ont joué, et c’est pourquoi il m’en semble intéressant d’en disséquer les grandes lignes.

Leibniz et la Monadologie

La notion de « monade », un mot tiré du grec « monas », soit « unité », n’est pas nouvelle en métaphysique : elle fut introduite au Ve siècle avant Jésus-Christ par Platon. Mais c’est trois siècles plus tard que celle-ci acquiert une définition plus précise, et qui continuera d’être utilisée par les philosophes jusqu’à aujourd’hui. En effet, Diogène Laërce écrit dans ses Mémoires Pythagoriques : « Le principe de toutes choses est la Monade. Venant de la Monade, la Dyade indéfinie, considérée comme matière, est sous-jacente à la Monade qui est cause. ». L’on retrouve donc là l’idée d’une Monade qui constitue la fondation de toute chose : elle est à la fois l’unité suprême et minimale, constituant chaque chose qui découle d’elle.

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C’est en partant de cette définition que Leibniz, philosophe et mathématicien allemand de la fin du XVIIe sicèle, va proposer une classification de l’Univers sous forme de Monades dans son œuvre majeure, la Monadologie. Pour lui, tout être est soit une monade, soit un agrégat de monades, chacune différente les unes des autres et dotée d’appétition et de perception. Chaque être vivant peut être classifié par sa monade dominante, une notion qui ressemble à ce que l’on appelle aujourd’hui « l’âme ». Comme chaque monade est différente, chaque être vivant est différent, et seul Dieu, la Monade des monades, dispose du pouvoir de perception simultanée de chacune d’entre elles.

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Dans Xenoblade Chronicles, la Monado est au début du jeu considérée comme l’arme ultime, celle qui a permis au titan Bionis de rivaliser avec le titan Mékonis, en puisant dans l’éther, élément fondamental de l’univers (une notion que l’on retrouve dans beaucoup de jeux de rôle japonais, et plus particulièrement dans Final Fantasy VII, dans lequel la Shinra Electric Power Company puise dans l’éther, énergie vitale de la Terre, pour alimenter ses réacteurs). Cela donne à la Monado une puissance inégalable, mais aussi la possibilité de changer le cours des événements, matérialisée dans le jeu par des visions du futur, des visions qui, d’un point de vue Leibnizien, découlent de la capacité de la Monado à avoir la perception de toutes les autres monades qui constituent l’univers.

« Tu dois trouver ta propre Monado »

La quête de vengeance qui constitue la base de Xenoblade Chronicles finit par se transformer en une quête pour tuer Zanza, le Dieu qui se proclame maître de cet univers et qui veut y mettre fin : pour lui, les habitants de Bionis ne sont que des monades dont le seul but existentiel est de mourir afin de lui fournir l’énergie qui lui est nécessaire pour vivre. Zanza choisit de hiérarchiser les monades, en quelque sorte, en disant qu’il s’agit là de l’ordre naturel. C’est aussi le point de vue de Leibniz, qui a écrit la Monadologie comme un traité de rationalisme mystique destiné à prouver l’existence de Dieu. Et c’est donc là que sa vision va se confronter à celle de Tetsuya Takahashi : celui-ci vit et a grandit au Japon, pays où le bouddhisme et le shintoïsme sont les deux religions principales. Une religion qui ne connait pas de Dieu, donc, et une autre qui en connaît une infinité.

À noter aussi que le symbole qui apparaît sur le troisième – et dernière – Monado est celui le kanji de “Dieu”

Dès lors, vous pouvez deviner la fin du jeu : Shulk a battu Zanza et devient Créateur à son tour. Un Créateur qui choisit d’abandonner son statut de divinité en exprimant son désir d’un monde sans Dieux. Un monde dans lequel la Monade n’existerait plus en tant que telle, mais serait une force invisible et imperceptible découlant des monades de tous les habitants de Bionis. La Monade n’est plus Dieu, force créatrice du monde : ce sont les vivants qui sont « Dieu », et l’union de leurs forces qui permettent de construire et décider de l’avenir du monde, pas à pas et jour après jour. En cela, Takahashi nous propose donc une relecture osée de la Monadologie, tout en restant fidèle au principe des écrits de Leibniz.

Le joueur comme agent métaphysique

Qui plus est, loin d’être un simple élément scénaristique intéressant, cette relecture s’inscrit parfaitement dans le contexte du medium vidéoludique. En effet, dans les derniers moments du jeu, Alvis, un personnage qui guide Shulk tout au long de son aventure, révèle que le monde dans lequel il vit résulte d’une expérience scientifique de création d’un univers menée par deux savants : Klaus et Meïnas, qui furent propulsés dans ce monde en tant que Dieux de celui-ci. Meïnas, qui est de l’avis de Shulk, veut se retirer et laisser les habitants de Bionis et de Mékonis décider de leur avenir : elle est tuée par Klaus, qui a pris le nom de Zanza, qui la voit comme une menace qui l’empêcherait d’exercer son pouvoir de Dieu unique.

En même temps qu’Alvis révèle cette histoire à notre héros, il lui apprend aussi qu’il est la « vraie Monade » de ce monde : un programme informatique destiné à faciliter la transition entre deux phases de l’univers créé par Klaus et Meïnas. Klaus/Zanza et Meïnas pensaient être les Dieux de ce monde, mais il n’en est en réalité rien, ou, tout du moins, ils ne l’étaient que parce que la simulation informatique le leur permettait. La destruction du monde était inévitable depuis le début, comme le dit Alvis à la toute fin du jeu, mais l’intervention de Shulk, et par extension celle du joueur, qui intervient comme un agent extérieur à celui-ci, permet de « casser » les règles préétablies de celui-ci. En lisant un livre ou regardant un film, cela aurait été impossible : le lecteur/spectateur est, par définition, passif. Mais un jeu n’obéit pas aux mêmes règles : le monde créé par Klaus et Meïnas EST Xenoblade Chronicles, l’œuvre dans laquelle les développeurs et scénaristes sont maîtres. Le joueur, manette en main, n’est pas partie prenante de la simulation qu’ils ont créé et peut donc briser les règles métaphysiques de celle-ci et décider de son destin. Comme dirait Nietzsche : « Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! ».

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lunapolitana
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Fan de consoles Nintendo et de jeux japonais depuis que je suis en âge de tenir une manette. Si je ne suis pas dispo, c'est probablement que je visite un parc Disney.