Pour introduire ce test, je vais commencer par parler des crédits du jeu du jour. Un choix qui peut paraître curieux au premier abord, mais je vais m’employer à le justifier dans les paragraphes qui suivront. Toute première création du jeune studio Altered Matter, Etherborn est un jeu né de la passion d’une équipe de développeurs et du soutien de nombreux joueurs au financement participatif organisé sur la plateforme Fig. Au fil des mois et des dons, le rêve d’Altered Matter a pu enfin se réaliser et à en juger par les remerciements tout mignons que l’on peut lire lors des crédits, on sent les efforts et l’implication personnelle de chacun des créateurs de cette étonnante expérience narrative qui en est le fruit : que vaut donc Etherborn ?
Bande-annonce d’Etherborn
Open your eyes…
Tout commence avec une mystérieuse et apaisante voix de femme. Non, nous ne sommes pas en train de nous réveiller en tant que Link dans The Legend of Zelda : Breath of the Wild, mais bel et bien dans la peau de cet étrange être humanoïde qui sera le héros (ou l’héroïne ?) d’Etherborn. Alors que la voix féminine nous invite à tenter de la rejoindre, le joueur a le temps de se familiariser avec les contrôles pour le moins minimalistes : déplacement, marche, course et saut feront bien l’affaire pour cette drôle d’aventure, aux règles bien particulières, qui commence. Passée la toute première zone où se déroule le tutoriel du jeu, vous vous retrouvez à arpenter les ramures noueuses d’un gigantesque arbre qui servira de hub central pour la suite des évènements.
Quatre mondes s’offriront alors à vous au fur et à mesure de votre progression. Etherborn propose un gameplay reposant entièrement sur la gravité et l’observation : afin de vous frayer un chemin à travers les différentes zones de chaque monde, il vous faudra ouvertement défier les lois de la physique et marcher aussi bien la tête en bas que parallèlement à la terre ferme, en admettant que ce terme puisse exister dans un univers où la gravité est aussi variable que l’honnêteté d’un politicien en pleine campagne. A de nombreux endroits spécifiques de chaque zone, il est possible de passer du plancher au plafond ou bien de marcher sur les murs, ce qui vous permettra de progresser aisément à travers le niveau. Prudence cependant, car la gravité changera en conséquence et une zone auparavant tout à fait sûre peut bien vite devenir plus dangereuse lorsque l’on marche la tête en bas !
On relève ainsi un défi grisant où se mêlent réflexion et exploration, grâce à la maîtrise totale du moteur de jeu témoignant du talent de ses concepteurs. L’excellente gestion de l’espace et le la caméra d’Etherborn permettent de réfléchir à la résolution de ces énigmes très intéressantes, tout en admirant au passage les mondes que vous serez en train de parcourir. Cependant, quelques petits soucis de contrôle viennent parfois entacher le plaisir de marcher la tête en bas : le recul de la caméra est nécessairement très fort car il vous est indispensable de pouvoir appréhender un maximum l’espace autour de vous pour pouvoir avancer. Mais elle est parfois si lointaine qu’il est difficile de bien évaluer la distance séparant votre personnage du vide et il ne fut donc pas rare que je meure inopinément, d’autant que certains respawns sont tout de même très punitifs.
Un monde sans danger
Car oui, quel plaisir que de se promener dans l’univers d’Etherborn ! Avec ses couleurs variées adoptant tantôt des tons pastels, tantôt des teintes bien plus vives avec une belle luminosité ambiante, on est immédiatement transporté dans ce monde parallèle. Le tour de force réalisé ici est qu’on s’y sent étonnamment détendu malgré l’absence totale de vie. Seul votre étrange petit personnage explore ce dédale géométrique et pourtant, mais jamais je n’ai ressenti la pesanteur de la solitude que j’avais ressentie dans d’autres titres du genre comme Unknown Fate ou Inside. Grâce à son esthétique soignée et ce complexe mélange de figures géométriques, l’univers d’Etherborn se laisse appréhender avec calme et plaisir, d’autant plus grâce à une bande-son joyeuse qui change des sempiternelles mélodies ” oniriques “ qui accompagnent ce genre d’expériences. Pour résumer, c’est comme si Super Mario Galaxy et Monument Valley avait été mixés ensembles ! En revanche, on regrettera certains panoramas un poil trop flous ainsi que le vide qui se dégage de quelques zones : un style épuré peut être très efficace, mais forcer le trait peut être tout aussi déplaisant pour le joueur.
Le point fort des énigmes proposées par le jeu est leur difficulté : un vrai défi vous est apporté tant il est facile de louper un passage astucieusement placé (mais sournoisement caché) qui vous permettra de poursuivre votre périple. En général, le jeu complexifie la tâche en plaçant çà et là de petits globes lumineux qui seront essentiels pour activer des interrupteurs, eux-mêmes faisant apparaître la voie à suivre. Par contre, j’ai été singulièrement déçu du peu de diversité des objectifs, car 90% de la réflexion revient à trouver un globe et atteindre l’interrupteur où placer celui-ci. Si la lassitude ne m’a jamais atteint au cours de mes parties tant l’univers est diversifié, je me dis qu’un ou deux types d’énigmes supplémentaires auraient été les bienvenus.
Etherborn ou l’histoire en (trop) peu de mots
Pour autant, j’ai pris un certain plaisir à explorer les moindres recoins des mondes d’Etherborn (parfois en me prenant vraiment la tête !) et j’ai été émerveillé par la beauté du quatrième : entre ses teintes vives, mais jamais agressives, et sa disposition qui faisait étrangement penser à une petite demeure japonaise, cette zone aura été plaisante à souhait. En revanche, ne comptez pas sur Etherborn pour vous occuper des heures entières : s’il vous faudra un certain temps de réflexion pour sortir de chacun des quatre mondes du jeu, vous en viendrez à bout en deux heures grand maximum. Un mode New Game + vous permet en compensation de refaire toute l’aventure avec une difficulté revue à la hausse. D’un autre côté, on ne peut guère exiger une aventure de cinquante heures quand il est proposé au doux prix de 16,99€ sur le Nintendo eShop, mais trois ou quatre mondes en plus n’auraient pas été de refus. Quelque part, c’est le signe que le concept d’Etherborn fonctionne, sinon je ne demanderais pas de pouvoir y jouer d’avantage !
Si j’ai qualifié Etherborn d’ ” expérience ” et non pas de ” jeu narratif “, ce n’est pas par volonté de m’exprimer dans un langage fleuri mais bien parce que la narration est proprement inexistante et, de fait, très frustrante. La voix féminine qui vous guide au tout début de votre aventure reviendra régulièrement vous parler pour vous faire part de ses réflexions sur la nature humaine et son évolution. Mais le message est trop alambiqué, trop abstrait et délivré trop rapidement pour pouvoir être pleinement compris. C’est uniquement en lisant le descriptif du script du jeu sur le site internet d’Altered Matter que j’ai compris que notre personnage était un humain sans voix et que la voix que nous entendions attendait un corps pour y habiter. Si ce concept est assurément très poétique et bien trouvé, il n’y aucun moyen de le comprendre à travers la narration du jeu ! Un fait curieux qui prive d’une partie du plaisir (pourtant fort présent !) qu’on tire de cette aventure. J’aurais sincèrement aimé pouvoir écouter la thèse d’Altered Matter sur la symbolique de cet étrange voyage, une autre preuve de l’efficacité certaine de leur jeu.
Poétique et apaisant
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Poétique et apaisant - 75%75%
Résumé
Derrière un emballage aussi doux que plaisant, Etherborn cache une véritable pièce maîtresse du jeu de réflexion. Avec cette utilisation exemplaire de la gravité alliée à une direction artistique excellente, Altered Matter signe un superbe puzzle-game qui, s’il ne brille pas par la qualité de sa narration, sait motiver le joueur à résoudre ses énigmes et poursuivre son chemin à travers ce fantastique univers. Quel dommage qu’il ne soit pas un peu plus fourni en contenu car une fois sorti d’une partie, on n’a envie que d’une chose : continuer l’aventure jusqu’à plus soif !
Les +
- Une superbe direction artistique
- Des énigmes complexes
- Une excellente utilisation de la gravité
- Une ambiance relaxante et joyeuse
Les -
- Quelques zones un peu floues
- Trop court
- Une caméra parfois trop distante du personnage