Life Is Strange 2 : un (trop) long fleuve pas vraiment tranquille — TEST

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8 ans après la découverte du premier volet de la série, et près de 5 ans après sa sortie sur PlayStation 4, Xbox One et PC, Life Is Strange 2 est désormais disponible sur Nintendo Switch depuis le 2 février 2023. J’ai eu l’occasion de tester ce portage mais, avant de rentrer dans le vif du sujet, je vous propose de démarrer par un bref historique de ce qui fait la singularité de cette licence. Notamment pour celles et ceux qui n’auraient jamais mis la main sur l’un de ces titres, comme c’était mon cas avant de lancer cet opus. Life Is Strange est une série de jeux vidéo développée par le studio parisien Don’t Nod Entertainment et éditée par Square Enix. S’il y a des amateurs de science-fiction parmi vous, sachez que j’ai été agréablement surpris d’apprendre que Don’t Nod compte Alain Damasio parmi ses fondateurs ! Si ce nom ne vous évoque rien, il s’agit d’un célèbre auteur français de science-fiction, notamment à l’origine de La Horde du Contrevent et Les furtifs pour ne citer que deux de ses livres.

La formule des jeux Life Is Strange est à mi-chemin entre le jeu vidéo et le film interactif, alternant entre cutscenes et sessions de gameplay durant lesquelles le joueur fait interagir son personnage avec le monde qui l’entoure et prend des décisions qui impactent directement le déroulé de l’aventure. La grande spécificité de ces jeux (et probablement l’une des explications de leur succès) est que leur contenu est découpé en plusieurs épisodes, dont les dates de sortie s’étalent sur un intervalle de plusieurs mois. Ainsi, bien que ce ne soit plus le cas aujourd’hui puisque tous les épisodes sont déjà disponibles, les premiers joueurs qui ont découvert la licence ont consommé les différents jeux à la manière d’une série, en attendant patiemment la suite tout en pronostiquant avec beaucoup d’entrain ce que l’intrigue pourrait réserver aux protagonistes, que ce soit sur les réseaux sociaux ou ailleurs. Naturellement, cette mécanique permet de faire languir les joueurs, créer de la discussion et populariser un jeu. Un pari réussi au moment où Don’t Nod en avait certainement le plus besoin puisqu’à la sortie de Life Is Strange début 2015, le studio était en difficulté après la sortie de son premier jeu, Remember Me, dont le raisonnable succès critique n’avait visiblement pas empêché l’échec commercial.

Pour revenir sur le fond du sujet, Life Is Strange premier du nom proposait au joueur d’incarner Maxine Caulfield, une étudiante en photographie dans la ville fictive d’Arcadia Bay, capable de remonter le temps pour changer le cours d’un événement intervenu quelques secondes auparavant. Accompagnée de sa meilleure amie d’enfance, elle enquêtait sur la mystérieuse disparition d’une certaine Rachel. Je laisserai le soin à celles et ceux que ça intéresse de découvrir en détail la suite de ce récit réputé comme particulièrement bien ficelé ! Fort de son succès, Life Is Strange a eu droit à un prequel dont les événements se déroulaient 3 ans avant les aventures de Maxine : Life Is Strange : Before The Storm. Là encore, libre à vous de vous le procurer pour connaître la génèse d’une série qui a marqué les esprits de nombreux joueurs dans le paysage vidéoludique.

Sachez toutefois qu’il n’est pas forcément nécessaire de jouer à ces deux premiers volets pour profiter pleinement de Life Is Strange 2 puisque ce dernier abandonne Maxine pour nous plonger dans la peau d’un tout nouveau personnage : Sean Diaz, un adolescent américain d’origine mexicaine qui vit dans l’Oregon avec son père et son petit frère, Daniel.

Un début d’aventure en fanfare

L’histoire démarre un vendredi après-midi d’octobre. Sean rentre du lycée avec sa meilleure amie, Lyla. Tous deux s’apprêtent à passer chez eux pour récupérer quelques affaires avant de se rendre à une fête d’Halloween. Sean y voit l’occasion de se rapprocher de la fille pour laquelle son coeur chavire, bien qu’il semble particulièrement inexpérimenté dans le domaine, ce qui conduit son amie Lyla à le vanner gentiment tout en l’accompagnant dans la préparation d’une approche. Après une discussion de quelques minutes, Sean rentre chez lui pour préparer ses affaires. Life Is Strange 2 est, comme le premier volet, une expérience à mi-chemin entre le film et le jeu vidéo, dans le sens où le gameplay consiste en premier lieu à interagir avec ce qui nous entoure à la manière d’un point-and-click. Les premières minutes du jeu sont là pour nous dicter les règles de cette expérience : on fait le tour de la maison à la recherche d’une couverture, de boissons, de nourriture et d’argent avant de retrouver notre meilleure amie pour la soirée. L’occasion de poser le décor et d’en découvrir un peu plus sur la relation que l’on entretient avec notre petit frère et notre paternel.

Une fois notre premier objectif accompli et alors que l’on s’apprête à retrouver Lyla, une altercation éclate à l’extérieur entre notre petit frère et le voisin d’à côté. Sean sort de la maison et constate que Daniel a aspergé le voisin de faux-sang de zombie par accident. Le même faux-sang avec lequel il nous avait demandé de jouer quelques minutes auparavant et pour lequel nous l’avions envoyé voir ailleurs… En tant que grand frère, nous nous interposons entre eux, le ton monte et, à la suite d’un geste malencontreux, notre voisin fait une mauvaise chute en arrière puis se met à avoir du mal à respirer. Manque de bol : une patrouille de police passe devant la maison, découvre le voisin au sol, recouvert de faux-sang, et en déduit qu’il est gravement blessé.  Au même moment, le père de Sean et Daniel sort de la maison pour tenter de désamorcer la situation mais l’agent de police, visiblement sous tension, tire un coup de feu dans sa direction.  Un sentiment de tristesse entremêlée de colère s’empare de notre petit frère, ce qui provoque une onde de choc qui expulse tout ce qui se trouve autour de lui. Après s’être évanoui quelques instants, Sean se réveille et découvre la scène de chaos provoquée par la colère de Daniel : les corps de l’agent de police, du voisin, de notre père et de Daniel gisent sur le sol dans le jardin sans dessus dessous. Alors que les sirènes de police retentissent au loin, Sean décide de porter le corps de son petit frère encore inconscient, d’attraper son sac à dos et de fuir. Nous voici embarqué dans une véritable fuite en avant à travers les Etats-Unis, avec pour seul objectif de nous réfugier au Mexique, terre natale de notre père sur laquelle ce dernier semblait posséder une petite maison.

Daniel, je suis ton père frère

Ce qui nous frappe dès les premières minutes après la fuite de Sean et Daniel, c’est le soin apporté à la relation fraternelle imaginée par Don’t Nod. En effet, on comprend très vite qu’en incarnant Sean, nous avons une responsabilité toute particulière vis-à-vis de l’éducation de notre petit frère maintenant que notre père n’est plus à nos côtés. Ainsi, le jeu nous pousse à réfléchir à l’ensemble de nos faits et gestes en nous faisant comprendre qu’ils auront des répercussions sur le comportement de Daniel, encore trop jeune pour s’être forgé sa propre identité. C’est d’ailleurs pour cela que Sean décide de lui cacher tout ce qui est arrivé durant les premières heures de jeu. Peut-être le parallèle est-il maladroit mais la relation entretenue par les deux protagonistes au début de leur périple m’a rappelé la relation entre Giosué et son père dans le film “La vie est belle” de Roberto Benigni. Une vraie force pour ce jeu qui saura d’ailleurs complexifier les rapports qu’entretiennent les deux frangins durant l’ensemble des 5 épisodes, et ce jusqu’à la conclusion du titre.

Les choix qui vont se présenter régulièrement à nous durant le périple sont également un gros point fort de Life Is Strange 2 puisqu’il nous incitent sans cesse à nous arrêter quelques instants pour décider quel genre de frère nous voulons être aux yeux de Daniel : commettre un vol, adopter un comportement violent, être trop strict ou trop laxiste… Autant de décisions qui auront une incidence sur le regard que Daniel portera sur nous mais aussi sur l’évolution de son comportement.

Tous les personnages — qu’ils soient bons ou mauvais — rencontrés par Sean et son frère durant leur “roadtrip” illustrent également la qualité du récit qui nous est proposé tant ces derniers disposent tous d’une identité très travaillée. Je pense notamment au blogueur Brody Holloway, rencontré dans les premières heures de jeu, mais aussi au petit Chris Eriksen et à son père Charles dont la relation est très touchante.

Seulement voilà, outre le fait que certaines personnes pourront regretter l’absence de voix françaises (l’ensemble du jeu est en anglais sous-titré en français), toutes ses forces qui relèvent de l’écriture ne sont pas tout le temps bien servies par les mécaniques de gameplay du titre.

Garçon ! Un autre bol d’interactions s’il vous plait !

Prenons l’exemple de la fonctionnalité de dessin offerte par le titre pour illustrer les talents artistiques de Sean : le jeu nous invite régulièrement à sortir un carnet pour retranscrire un paysage qui se présente à nous. Une belle idée de prime abord, entachée par une mécanique trop simpliste qui consiste à se concentrer sur le panorama qui se dresse devant nous à l’aide d’une pression prolongée sur un bouton, pour ensuite réaliser de vulgaires rotations de joystick afin de reproduire la scène en quelques instants. Il en est globalement de même pour les interactions avec le pouvoir de Daniel lorsque Sean se décide à lui apprendre à le canaliser, puisque cela consiste bien souvent à lui demander de faire léviter tel ou tel objet pour s’entraîner ou pour nous libérer un passage obstrué. Et même si le jeu fait preuve d’un peu d’originalité durant chacun des épisodes au travers de quelques mini-jeux et activités disséminées ça et là, c’est bel et bien le récit qui nous entraîne dans l’aventure, et non pas les mécaniques de jeu en tant que telles. Certains diront qu’il s’agit précisément de la proposition d’un jeu de ce type, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’une aventure interactive telle que Life Is Strange 2 aurait pu être encore un cran au-dessus si sa boucle de gameplay avait fait l’objet d’un travail encore plus approfondi.

Si cela ne m’a pas empêché de prendre beaucoup de plaisir à suivre le fil d’une histoire haletante à bien des égards, force est de constater que le titre souffre de quelques longueurs lorsque sa dimension cinématographique prend un peu trop le pas sur sa dimension vidéoludique. Des longueurs qui s’illustrent par des passages trop bavards, sans interactions possibles, durant lesquels je ne pensais qu’à une chose : reprendre le contrôle de Sean, manette en main. Après tout, l’interaction est la base même d’un jeu vidéo, non ?

Techniquement (in)suffisant

J’aimerais terminer en évoquant les aspects techniques de ce portage sur Nintendo Switch. En effet, pour nous permettre d’emporter et de jouer à Life Is Strange 2 partout sur la console nomade, les développeurs ont dû faire des concessions. Résolution revue à la baisse par rapport aux versions déjà disponibles sur d’autres plateformes, textures moins fines, aliasing… Autant de petites défaillances qui n’empêchent pas quelques ralentissements dans les décors les plus ouverts. À ceci s’ajoute du clipping assez flagrant, avec des cailloux et des éléments de la flore qui apparaissent à nos pieds à mesure que l’on progresse. Les temps de chargement majeurs sont également relativement longs puisqu’il faut compter entre 30 et 45 secondes pour revenir en jeu après le lancement d’une partie ou le passage d’un épisode à un autre par exemple.

Quasiment 6 ans jour pour jour après la sortie de la Nintendo Switch (oui, la console fêtera déjà son sixième anniversaire le 6 mars prochain), ce serait manquer d’honnêteté de vous dire que les lacunes techniques d’un portage sont une surprise. On ne compte plus le nombre de licences qui ont dû subir ce type de downgrade pour voir le jour sur notre console portable bien aimée, à tel point que l’on s’est même habitué à se contenter d’une version un cran en-dessous techniquement. Tout ça en se répétant la phrase suivante : “après tout, le simple fait de pouvoir lancer [ajouter le nom de n’importe quel jeu du cœur] partout et quand je veux me comble de joie”. Life Is Strange 2 n’échappe pas à cette règle : tandis que le périple de Sean et Daniel se poursuit et que la pression monte crescendo jusqu’au dénouement final, on parvient à mettre de côté l’ensemble de ces petits accros pour plonger la tête la première dans l’histoire des frères Diaz, ces deux jeunes américains d’origine mexicaine, livrés à eux-mêmes et contraints de trouver un sens à leur existence alors qu’ils sont poursuivis par les autorités au beau milieu d’une Amérique plus divisée que jamais. Une histoire qui finit par devenir aussi la nôtre puisque sa chute aura été dictée par l’ensemble de nos choix au cours de la partie.

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Un périple fraternel émouvant !

Dernier jeu de la licence qui n’avait pas encore été porté sur la console de Big N, Life Is Strange 2 reprend la formule de ses prédécesseurs : une aventure interactive basée sur un récit à la fois solide et émouvant. Celles et ceux qui ont déjà suivi le périple des frères Diaz sur un autre support seront certainement ravis de pouvoir y rejouer où et quand ça leur chante, à condition d’accepter les quelques faiblesses techniques de cette version Nintendo Switch. Pour les autres, ce jeu se laissera déguster avec plaisir malgré quelques passages plus timorés. Si vous êtes un habitué des point-and-click et des jeux très orientés sur la narration, foncez ! Si, au contraire, vous êtes plutôt de l’école du gameplay, l’aventure vous paraîtra un peu plus poussive par moment, mais vous ne regretterez pas d’en arriver au bout pour découvrir ce que le sort réserve aux deux protagonistes que vous aurez suivi et appris à connaître pendant quinze à vingt heures de jeu.

Les +

  • La relation fraternelle entre Sean et son petit frère, Daniel.
  • L’écriture des personnages rencontrés tout au long du jeu.
  • Le soin apporté à la mise en scène dans toutes les cutscenes
  • La mécanique de choix irréversibles
  • Les statistiques comparatives entre nos décisions et celles prises par le reste des joueurs

Les -

  • L’absence de doublages français
  • Les temps de chargement un peu longs
  • Les lacunes techniques (résolution, aliasing, clipping)
  • Les quelques passages un poil trop bavards, sans possibilité d’interagir
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Nastowan
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Do or do not. There is no try._ Maître Y.