Voir ses potes, aller manger un burger, réviser pour les exams, passer des heures à se parler par SMS, draguer maladroitement et se faire rembarrer, traîner dans la rue et se faire engueuler quand on rentre à la maison… La vie normale d’un lycéen, quoi. Ah, j’allais oublier l’activité phare des jeunes : rentrer dans l’âme des gens pour essayer de transformer les pires salauds en honnêtes citoyens. Vous ne faisiez pas ça, vous ? Alors il est temps de fourrer votre Switch dans votre cartable et d’enfiler vos baskets : on part au Japon avec Persona 5 Royal, pour un voyage qui s’annonce aussi long que mémorable.
En bande organisée, personne peut les canaliser
Pas de kalash ici, mais cela ne vous empêche pas d’être un criminel : on commence directement par un cambriolage dans lequel votre héros tente d’échapper à des gardes de plus en plus agressifs. Une introduction en matière des plus engageantes, moyen très intelligent d’engager les joueurs et de les inciter à aller au delà d’une première heure de jeu assez lente. Persona 5 Royal est un jeu qui prend son temps et qui vous incite, à chaque chargement, à faire de même. Après avoir été arrêté par la police – *record scratch* *freeze frame* – la majeure partie du reste du jeu se construira comme un palpitant flashback dans lequel vous retournerez aux sources, après un déménagement impromptu de votre héros, puni pour avoir agressé un homme qui tentait d’harceler une femme. Il va donc se retrouver hébergé à Tokyo, dans le grenier d’un bar au patron bourru mais sympa. Une entrée en matière intelligente, qui permet de rabattre les cartes et découvrir en même temps que Joker (ledit héros) de nouveaux lieux et de nouveaux amis, le tout dans un scénario qui, malgré quelques petites lacunes dans l’écriture, notamment dans la représentation de ses personnages féminins, reste toujours intéressant – palpitant, même.
Dans une société qui tourne de moins en moins rond, Joker va former autour de lui un groupe de laissés-pour-compte soudés : un cancre au grand cœur, une lycéenne harcelée sexuellement par son prof, une gymnaste en deuil… Tant de personnages qui vont sentir souffler en eux le vent de la révolte, représenté par une Persona, manifestation de la personnalité de chacun d’entre eux qui les aidera à combattre des démons dans les palais mentaux des personnes à corriger. La série d’Atlus a toujours pris le contrepied du nihilisme noir de son grand frère Shin Megami Tensei en offrant une vision plus optimiste, mais cela ne l’empêche pas d’aborder des thématiques difficiles, comme le racisme, le suicide, le deuil ou la corruption des élites. Autant de problèmes de la société japonaise que le studio veut dénoncer, mais dont l’universalisme fait qu’ils parleront à chacun d’entre nous. Et tant pis si tous ne sont pas traités avec une grande subtilité : Persona est avant tout là pour nous faire ressentir l’intensité de la rage et de la fougue adolescente. Nous embarquer dans cette rebellion, nous faire nous indigner des injustices de ce monde, nous faire verser une larme pour nos amis et les opprimés ; on ne retrouvera pas la finesse d’écriture d’un Yakuza, mais qu’importe : l’émotion passe malgré tout.
The social network
Si vous êtes un habitué des Final Fantasy ou de Draque, la narration de Persona 5 Royal pourra quelque peu vous dérouter : se déroulant sur un peu plus d’une année, nous faisant vivre chaque journée, le titre d’Atlus est clairement délimité en trois phases – que l’on appellera “exploration libre”, “donjons” et “histoire” – et, dans ces dernières, lorgne parfois vers le visual novel. Un visual novel de luxe, certes, avec moult animations et un doublage intégral, mais un visual novel. Ce n’est pas un défaut : au contraire, cela permet au jeu d’imprimer son rythme plus lent, avec des moments de pause presque cosy. Mais soyez prévenus. Et n’hésitez pas à profiter de la fonction veille de votre console, car parfois le temps entre deux sauvegardes disponibles peut s’avérer long. On sent néanmoins une volonté nette de briser la redondance des précédents épisodes en éparpillant un peu plus les moments de narration et en multipliant les activités et personnes à rencontrer. Quand vous ne serez pas dans un palais ni dans la tourmente, vous pourrez donc mener une vie normale, explorant les différents quartiers de Tokyo : irez vous travailler pour vous faire un peu de moula, manger un burger géant pour gagner du courage, chercher le home run dans un mini-jeu de baseball à la difficulté hallucinante, vous préparer un curry ou discuter avec vos “confidents” ?
À vous de choisir, mais c’est ce dernier point qu’il vous faudra privilégier : Persona reste toujours un jeu social, où parler avec vos connaissances permettra non seulement à votre personnage de s’en rapprocher en en apprenant plus sur elles, mais aura aussi des répercussions visibles (et parfois bien pratiques) sur le gameplay. Certaines histoires personnelles sont moins intéressantes que d’autres, mais toutes auront leur moment de grâce. Pas loin de la simulation de drague, aussi, puisque vous aurez la possibilité de romancer chacune des filles de votre carnet d’adresse. Y compris toutes en même temps, si vous le voulez, ce qui ne sera pas sans conséquences. On pourra certes se plaindre – à juste titre – de ce côté harem, comme regretter l’absence de possibilité de romancer un homme, mais il est tout de même à noter que, pour une fois, l’affection de votre élue ne se gagnera pas en lui faisant cadeau sur cadeau, mais en l’écoutant et lui rendant service, ce qui est tout de même un peu plus réaliste.
Braquage à la japonaise
Ceux qui préfèrent la bagarre à la romance ne seront pas non plus en reste. Une fois par mois – grosso modo – l’intrigue de Persona 5 Royal s’articulera autour d’une nouvelle âme corrompue à corriger. Chacun de ces méchants possèdera son Palais, grand donjon rempli d’ombres au design plus fou les unes que les autres. Grosse nouveauté par rapport aux jeux précédents, les donjons ne sont plus générés procéduralement, ce qui leur confère un supplément d’âme très appréciable. Chacun d’entre eux possède sa propre personnalité, accentuée par le décor, les ennemis que vous y croiserez, et les mécanismes faisant office d’énigme. Codes à déchiffrer, gemmes maudites à déplacer, bras mécaniques à activer… rien de trop complexe, mais de quoi un peu se triturer les méninges afin de rendre plus satisfaisante encore l’exploration à 100% à laquelle vous êtes invités. Et, bien que chaque donjon possède des abris dans lequels vous pourrez sauvegarder et ne pas repartir de zéro si vous désirez répartir votre exploration sur plusieurs jours, un frisson de plaisir vous parcourra l’échine si vous arrivez à one-shot un Palais. Un petit challenge dans le challenge, qui vous permettra a fortiori de bénéficier d’un peu plus de temps à consacrer aux autres parties du jeu, notamment le Mémento, un ensemble de petit donjons générés aléatoirement à l’ancienne dans lequel vous pourrez trouver des cibles mais surtout grinder si besoin. Un petit à-côté sympathique pour ceux que la vie lycéenne lasserait.
Les combats de Persona 5 Royal représentent quant à eux le raffinement d’un système travaillé par Atlus depuis des années : les armes à feu des premier opus font leur retour, se rechargeant cette fois-ci entre chaque ennemi, tandis que vous pouvez recruter les ombres en négociant avec elles, à la MegaTen. Mais c’est surtout le fameux système de “one more” qui brille, une fois encore : en frappant la faiblesse d’un ennemi, vous déclenchez un tour bonus qui vous permet de taper l’ennemi à nouveau ou d’effectuer un transfert avec un coéquipier, les dégâts augmentant à chaque transfert. Le but est évidemment d’enchaîner le plus de transferts possibles afin de pouvoir asséner un coup fatal à un adversaire qui n’aura eu aucun répit. Entre ça, les nombreux effets visuels, la vitesse des attaques, les braquages (une attaque à plusieurs quand les ennemis sont à terre), ainsi que la possibilité d’activer assez souvent d’hilarantes attaques spéciales, même les plus réfractaires aux combats au tour-par-tour pourraient bien être séduits par la proposition du jeu. Et, si vous souhaitez encore plus accélérer la chose, vous avez toujours la possibilité de laisser l’IA contrôler vos alliés, tandis qu’une simple pression du bouton R vous suggérera l’attaque à employer – si tant est que vous connaissiez déjà les faiblesses de l’ombre que vous affrontez.
Tokyo-o-o-o-o, te quiero-o-o-o-o
Comment, enfin, parler de Persona 5 Royal sans évoquer le travail effectué sur l’interface graphique, tout simplement la plus belle de l’histoire du jeu vidéo ? Les artistes de chez Atlus semblent avoir poussé le bouchon assez loin pour que tout soit stylisé au possible tout en restant lisible. Impossible de se perdre dans ces menus et pourtant, pour une fois, on en aurait envie. Et le pire, c’est que toute la direction artistique est de cet acabit : oui, le jeu accuse ses six ans (et il n’était pas un foudre de guerre à l’époque de sa sortie), mais qu’importe la technique quand on arrive à aussi bien rendre ses différents environnements, à imprimer à chacun d’entre eux une ambiance si particulière. Privés de voyage au Japon depuis deux ans, il suffit de se plonger dans le jeu pour avoir l’impression de se retrouver dans le vrai Shibuya, sauf qu’à la place des enceintes assourdissantes du Mega Don Quijote, nos oreilles se régaleront avec les compositions acid-jazz de Shōji Meguro, qui livre une fois encore une bande-son de classe mondiale.
Après tant d’années, on pourrait avoir l’impression que tout a déjà été dit sur l’œuvre d’Atlus. Et cette version définitive, qui arrive sur tous les supports accompagnée de tous ses DLC, est avant tout réservée à ceux qui n’ont jamais pu y jouer. Mais il serait faux de dire qu’elle ne se réserve qu’à eux. Même en le parcourant pour la troisième fois, j’ai réussi à me faire envoûter à nouveau par Persona 5, l’un des plus grands J-RPG de l’histoire, un titre qui arrive même à faire mentir ceux qui nous annoncent tous les quatre matins la mort des RPG en tour-par-tour. Un jeu sophistiqué et inoubliable, qui réussit presque tout ce qu’il entreprend avec une insolence qui n’a d’égale que celle de ses héros.
Persona 5 Royal a volé notre cœur
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Pas besoin de métanoïa pour toucher à ce trésor - 99%99%
Pas besoin de métanoïa pour toucher à ce trésor
Persona 5 Royal semble enfin à la maison sur une Switch qui est la console parfaite pour profiter de cette aventure de 150 heures que l’on ne voit pourtant pas passer. Généreux, intelligent et splendide, le chef-d’œuvre d’Atlus prouve une fois de plus toutes ses qualités qui devraient voler le cœur de ceux qui s’y essaieront. De son système de combat à son interface, en passant par sa bande originale que l’on ne se lassera pas d’écouter et de réécouter, il arrive presque revanchard, déterminé à prouver que le RPG japonais a le monopole du cœur, mais aussi des idées. Une fois GOTY, deux fois GOTY, et maintenant trois fois GOTY ? Comme dirait Biggie : “untouchable, uncrushable“.
Les +
- Personnages très attachants
- Intrigue passionnante qui nous fait passer par toutes les émotions
- Ultra généreux dans son contenu
- Interface stylisée, lisible et de bon goût
- Bande-son exceptionnelle
- Système de combat parmi les meilleurs de l’histoire
- Parfait pour la Switch
- Donjons variés et bien designés
- Difficulté très bien équilibrée
Les -
- Pas toujours très subtil
- Personnages féminins parfois bêtement sexualisés