Débarquant sur nos consoles PS2 en 2005, Shin Megami Tensei III : Lucifer’s Call s’est rapidement imposé comme étant le meilleur jeu Shin Megami Tensei produit et reste indétrôné depuis malgré SMT IV, SMT IV : Apocalypse et un remake de Strange Journey intitulé Strange Journey Redux lui faisant suite sur 3DS.
Mais que sont donc les Shin Megami Tensei ? Si de nos jours c’est surtout la série Persona qui a fait connaître l’univers Megami Tensei, avec notamment l’incroyable Persona 5 (Royal) acclamé par la critique, il faut savoir que les jeux vidéo Persona dérivent d’abord des Shin Megami Tensei qui furent eux-mêmes en premier lieu l’adaptation d’un livre. Shin Megami Tensei III se place alors en œuvre incontournable afin de découvrir les différences entre Shin Megami Tensei et les spin-off que sont les Persona. L’opus phare de la série des Shin Megami Tensei reprend son titre originel donné au Japon lors de sa sortie : « Shin Megami Tensei III : Nocturne » pour l’arrivée de ce remaster sur Nintendo Switch. Seize ans plus tard, la magie opère-t-elle toujours ?
Et si on commençait par la fin du monde ?
Adieu l’idée de sauver le monde avec votre groupe d’amis fidèles que vous avait mis en tête les différents Persona aux univers colorés, ici il est déjà trop tard. Le jeu vous fait débarquer après son introduction dans un monde post-apocalyptique et pas des moindres : tout être humain a été rasé de la Terre à part ceux présents dans l’hôpital désaffecté du début du jeu c’est-à-dire une poignée de personnes incluant vous-même bien évidemment, vos deux camarades de classe et votre professeure. Contrairement aux Persona qui ont des mauvaises, des bonnes voire des vraies fins, dans Shin Megami Tensei III il n’y aura pas de bonne solution mais vous devrez tout de même choisir l’orientation de l’histoire selon plusieurs axes moraux. Les actions que vous effectuerez au long du jeu faisant pencher la balance vers l’une des voies représentées en général par l’un de vos comparses comme par exemple la Raison de Yosuga inspirée de la loi du plus fort.
En effet, après l’événement de la Conception, réduisant donc tout humain à l’état d’âme errante et ouvrant la voie aux démons, notre héros se verra ingérer de force une sorte d’insecte (appelé Magatama) lui offrant de nouveaux pouvoirs et le transformant par la même occasion en Demi-démon. L’avenir du monde repose entre ses mains car après la destruction, il devra choisir une Raison (une des voies morales mentionnées plus tôt) afin d’achever le processus entamé et pourvoir commencer une reconstruction de la Terre. Il est logique alors que dans cette atmosphère beaucoup plus sombre et mature, les graphismes seront également quant à eux moins colorés et plus du tout axés sur un style « anime » propre aux jeux Persona. Le designer du jeu, Kazuma Kaneko, ayant déjà travaillé sur les anciens opus de SMT nous offre des dessins sublimes aux tracés fins et précis dans les tons neutres ainsi que beaucoup de jeux de négatif concordant avec les thèmes oniriques abordés. On comprendra vite que l’imagerie religieuse ne se limite pas aux démons mais est au contraire omniprésente avec une symbolique très prononcée notamment à travers les différents personnages que nous rencontrerons au fil du jeu qui sont des avatars, que très subrepticement déguisés, de figures religieuses. Vous arriverez même littéralement (et par erreur !) en Enfer.
On retrouvera tout le bestiaire commun aux jeux de l’univers Megami Tensei, des démons empruntés à différents folklores et mythologies comme par exemple les fameux Loki et Thor pour la mythologie nordique mais aussi des moins connus tels que Yaka de la mythologie Sri Lankaise ou encore Preta issu de la religion bouddhiste. Bien évidemment chacun aura sa personnalité propre et il faudra parler avec eux afin de les recruter, cependant les négociations seront beaucoup plus coriaces que dans Persona, ici les démons pourront demander des sommes immenses sans garantie que ces derniers finissent par vous rejoindre. Sans compter les questions tordues qu’on vous pose et auxquelles il faudra savoir répondre juste ainsi que l’influence de Kagutsuchi (la lune) : en pleine lune il vous sera très difficile de communiquer avec les démons.
Heureusement, comme d’habitude le jeu vous offrira gratuitement un premier compagnon d’aventure et qui de mieux qualifié que Pixie qui sera souvent le premier démon obtenu dans les Shin Megami Tensei, de par son apparente bonne entente avec les humains. Rien n’est laissé au hasard, la personnalité des démons transparaissant donc même en dehors des combats comme la mascotte officielle d’Atlus, Jack Frost, qui apparaitra souvent de façon très humoristique en tant que marchand, PNJ ou autre.
PS : Si vous êtes devenus fans de nos démons adorés après ces heures passées à farmer et que vous désirez vous essayer au Megami Tensei Extended Universe, je ne peux que vous conseiller les séries Devil Survivor et les Digital Devil Saga toutes deux sorties en Europe ou alors, pourquoi pas un Tokyo Mirage Sessions #FE Encore qui mélange l’univers Persona à celui de Fire Emblem.
Remaster n’est point remake
Une fois échappé de l’hôpital où nous affronterons notre premier boss, l’on arrive immédiatement sur une carte du monde. Après la cinématique vous expliquant que Tokyo est désormais une sorte de globe avec la Lune brillant en son centre, nous observons que Shin Megami Tensei III reste très ancien notamment lors des déplacements entre les villes, la carte étant extrêmement sobre. C’est cependant une tendance que même les SMT les plus récents (i.e. SMT IV et IV Apocalypse, Strange Journey Redux étant le tout dernier SMT sorti mais sans point de comparaison car il n’y a pas de carte pour les déplacements entre secteurs) semblent s’efforcer de conserver ; est-ce que cette sobriété est donc un choix artistique reflétant les différents mondes quasi désertiques que nous parcourrons ? Cela reste tout de même un peu trop simpliste. J’ai d’ailleurs remarqué avec surprise quelques ralentissements lors des combats lorsque l’on utilise des magies qui touchent plusieurs cibles ou alors pendant l’animation d’apparition de Matador. Les graphismes restant très basiques sans énormément de détails ou d’effets impressionnants il est assez étonnant de voir le nombre d’IPS baisser.
Côté audio, le jeu nous laisse le choix entre la version originale japonaise ou le doublage anglais, le texte quant à lui est disponible en français. Les traductions ayant été reprises dans ce remaster, certaines réponses présentes à l’époque sur la version PS2 et donnant un peu plus de personnalité au héros principal que nous incarnons ont été revues plus littéralement pour mieux coller à la version japonaise. Plus exact du coup mais aussi beaucoup plus de « Oui » et de « Non » comme le veut la tradition des personnages silencieux, adieu donc les envolées lyriques dont nous faisaient cadeau les traducteurs anglais. Attention aux différences de localisation, ne vous faites pas avoir, un « N1 » dans un ascenseur ne mène pas au 1er étage mais correspond à notre rez-de-chaussée français !
L’OST pour le moment m’a laissé indifférente voire m’a paru désagréable à certains moments, les notes de musique assez monotones laissant parfois place à une sorte de métal un peu trop cacophonique à mon goût. Nous sommes loin des différents thèmes originaux des Persona ou, plus simplement, du thème de combat de SMT Strange Journey Redux qui est tout bonnement divin. Au niveau de la traduction française, certaines phrases paraissent parfois alambiquées mais à quel point est-ce un défaut de traduction et à quel point ne sont-ce que des phrases étranges prononcées par des êtres encore plus bizarres ? Difficile de faire le tri dans un monde si spécial, mais si intéressant.
Pourtant, SMT III pêche, contrairement à ses successeurs beaucoup plus user friendly, par son manque d’instructions et son interface utilisateur pas claire du tout. On entend souvent parler de la difficulté des Shin Megami Tensei et effectivement Shin Megami Tensei III peut être difficile à appréhender mais peut-être pas pour les raisons que vous croyez.
Le pire ennemi de Shin Megami Tensei III ? Lui-même
Shin Megami Tensei III Nocturne se tire tout seul une balle dans le pied, pour un jeu qui avait tout pour être quasi parfait. Oui, certains démons seront difficiles à battre. Oui, vous pouvez rater votre attaque trois fois de suite (une attaque ratée vous faisant perdre deux tours au lieu d’un) selon les lois de la RNG. Et oui, le jeu peut se parfois montrer cruel en vous faisant perdre une heure de parcours de donjon si vous tombez par inadvertance sur un groupe d’ennemis désavantageux et sans point de sauvegarde à proximité. Mais tout ceci n’est rien de spécial pour un RPG de type dungeon crawler, et l’avantage des jeux au tour par tour (n’en déplaise à DesBen) étant que si un boss est trop difficile et que l’on ne maitrise pas les réflexes requis, au final il n’y a pas vraiment besoin d’être bon, il suffit de grinder jusqu’à le surpasser !
Alors oui, il y a une légère plus value pour les connaisseurs de la licence qui auront l’avantage de fusionner les démons en recherchant les avantages ou les pouvoirs nécessaires à leur prochaine affrontement ; je pense notamment aux caractéristiques « Résiste », « Nullifie » ou « Absorbe » qui seront très efficaces contre par exemple les attaques Zan de Matador. Mais cela ne représentera jamais un handicap, même pour les débutants, car en vérité la table de fusion est très complète et indiquera toujours les spécificités du démon que vous vous apprêtez à créer (sauf accident !) La vraie difficulté se situe dans l’absence totale d’indications, et cela de plusieurs manières. Tout d’abord vous n’aurez jamais d’objectif de quête, pas même dans le menu. Tout indice se fera par dialogue mais les PNJ s’exprimant de façon fantasque et vous parlant parfois de plusieurs sujets différents, il sera souvent difficile de deviner où vous orienter. Heureusement, avec un peu de jugeotte et par la force de l’habitude l’on finit par déchiffrer les messages cachés même si cela peut rebuter les plus jeunes joueurs qui n’ont pas connu l’époque des jeux vidéo manquant d’explications.
Par ailleurs, il n’y a pas de quêtes secondaires dans le jeu à ma connaissance, il faudra donc farmer à la dure. Autre défaut, l’interface utilisateur. Il m’aura fallu deux heures pour trouver les boutons qui permettent de fuir, d’utiliser un objet en combat ou de parler au démon qui se trouve face à vous (valable aussi lors du tour de certains de vos démons qui ont des capacités spéciales). Suivez mon conseil et appuyez tout simplement sur la flèche de droite lorsque vous serez en combat et tout un nouveau pan du menu s’ouvrira à vous. Cela peut paraître évident expliqué ainsi mais quand pas une seule phrase ne vous explique cette possibilité et que le design du combat laisse très peu transparaitre un menu horizontal, on se retrouve avec des testeurs qui ont passé 8 heures de jeu avec un seul démon (Pixie) et qui à la fin de leur compte-rendu ne savent toujours pas qu’il existe des boutons pour Fuir ou Recruter des démons.
Bien sûr que dans ces conditions, le jeu peut paraître anormalement difficile. Ce n’est pourtant, à mon avis, pas le cas et je ne me considère pas être une pro des jeux vidéo, au contraire je joue souvent en mode Facile. Ici, un DLC « Permissif » peut être téléchargé qui simplifie énormément le jeu mais je n’en ai au final pas eu besoin du tout, trouvant Shin Megami Tensei III très bien dosé. Alors bien sûr, garde à ne pas devenir fou si vous arpentez le labyrinthe d’Amala et que vous mourrez juste avant la dernière salle, pour qu’une fois le jeu relancé vous vous rendiez compte que le level design modifie complètement la structure du donjon et qu’il n’y a donc aucun moyen de tricher et de reprendre le chemin utilisé précédemment (surtout que la sortie se trouvera, cette fois encore, dans la dernière salle que vous explorerez) !
Il faudra souvent garder un mental d’acier, mais cette difficulté est plus circonstancielle et rageante sur le moment qu’insurmontable à long terme. Le seul détail qui m’a paru un peu trop punitif est l’accès au Compendium qui se fera lors de votre accès à Ikebukuro soit pour ma part après environ une douzaine d’heures de jeu (sans compter les morts). Le boss à affronter avant d’accéder à cette zone requérant de nombreuses fusions de démon, il aurait été plus logique de pouvoir se servir du Compendium (qui permet d’invoquer des démons précédemment recrutés en payant une somme en Macca, la monnaie du jeu) bien plus tôt au lieu de devoir passer par le processus de négociation avec les mêmes démons plusieurs fois de suite.
Shin Megami Tensei III, le retour du Demi-démon
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Un jeu merveilleux qui aurait pu être mieux servi - 80%80%
Un jeu merveilleux qui aurait pu être mieux servi
Si l’on peut critiquer un remaster un peu paresseux, Shin Megami Tensei III Nocturne HD Remaster offre surtout un portage sur Switch qui permettra à de nombreuses personnes de découvrir pour la première fois un univers, ou tout du moins un jeu, quelque peu de niche jusque là. Oui le jeu comporte quelques lourdeurs et reste assez vieillot mais toute l’ambiance, l’atmosphère et l’histoire happent rapidement le joueur qui se laissera alors porter par une aventure merveilleuse. Au final, même si un temps d’adaptation est nécessaire pour les nouveaux venus, il serait dommage de passer à côté d’un jeu qui en vaut largement la chandelle.
Les +
- Histoire immersive et riche
- Atmosphère visuelle unique
- Un bestiaire fourmillant
- Plusieurs fins
- De véritables concepts philosophiques
- Des traits d’humour qui viennent alléger le côté sombre et mature
- Une difficulté Permissive en DLC
Les -
- Un Compendium arrivant tard
- Une interface utilisateur nullissime
- Farmer peut devenir répétitif
- Une OST moyenne