Dur de ne pas se sentir dépassé par le début de The Good Life, tant le jeu démarre sur les chapeaux de roues : après une courte introduction façon “livre d’histoires pour enfants”, qui nous fait comprendre que la relation entre humains et animaux sera le thème principal du jeu, on se retrouve dans la peau de la journaliste new-yorkaise Naomi Hayward, pas très contente de se retrouver dans “la ville la plus heureuse du monde“, Rainy Woods, petit village distinctement britannique qui n’est à ses yeux qu’un “putain d’enfer“. Elle doit y investiguer un mystère pour le compte du journal Morning Bell, non pas par amour du scoop, mais très simplement car elle a une énorme dette à rembourser.
Le mystère en question, elle en comprendra vite les tenants et aboutissants : les habitants se transforment en animaux la nuit. Mais pourquoi ? Pas le temps d’y réfléchir pour le moment, car vous êtes submergés par les informations et les tutoriels sur les divers systèmes du jeu, plus complexes qu’il n’y paraît. Et les choses se compliquent encore quand Naomi commencera à pouvoir se transformer en animal… mais je vais vous laisser un peu le temps de respirer avant de continuer.
Welcome to The Good Life
The Good Life a été financé sur Kickstarter en 2018 sur la base de son pitch original, mais aussi de son équipe : des développeurs ayant travaillé sur Panzer Dragoon, Rez ou encore Final Fantasy XII, mais surtout son chef d’orchestre, l’original Hidetaka Suehiro, aussi connu sous le nom de Swery65 ou simplement Swery. Un japonais d’une quarantaine d’années, autant fan de David Lynch que de bonnes pintes (si l’on en croit son compte Twitter), qui est responsable de bon nombre d’expériences ludiques marquantes : D4, The Missing: J.J. Macfield and the Island of Memories, les deux Deadly Premonition… Des jeux pour certains excellents, mais souvent trop ambitieux pour le petit budget qui leur a été alloué, ce qui résulte en des problèmes graphiques ou de performance, qui se laissent oublier quand ils sont contrebalancés par d’autres qualités.
Sa dernière œuvre reste malheureusement dans la même lignée et, dans sa volonté trop ambitieuse de raconter cette aventure dans le cadre d’un monde ouvert, propose des graphismes qui semblent sortis tout droits de la PlayStation 2 : après tout, pourquoi pas, ça peut être un style. Ce qui ne peut pas relever d’une proposition artistique, en revanche, c’est le clipping de textures à un mètre de votre personnage, ce qui arrive constamment et même dans des endroits peu bondés, ainsi que le côté extrêmement flou de l’ensemble une fois passé en mode portable – et qu’on ne me dise pas que la Switch n’était pas capable faire tourner ça. Au niveau du framerate, en revanche, c’est plutôt correct : on notera juste de grosses chutes lors de certains dialogues, sans que l’on ne puisse vraiment l’expliquer.
Swe qui ry, Swe qui pleure
Est-ce que les qualités de The Good Life arrivent à compenser ces problèmes ? C’est une question en or à laquelle il me sera difficile d’apporter une réponse définitive. Comme d’habitude chez Swery, les personnages excentriques qui peuplent Rainy Woods sont plutôt bien écrits et attachants, et bénéficient qui plus est ici d’un character design qui colle bien avec leur personnalité. L’histoire, qui vous confrontera très rapidement à un meurtre quasi surnaturel, est cependant un peu trop complexe pour son propre bien et pourra perdre certaines personnes, d’autant plus que le jeu n’est sous-titré qu’en anglais (et pas forcément un anglais très facile de compréhension). Elle demeure tout de même agréable à suivre, surtout à partir du milieu du jeu, quand elle trouve sa vitesse de croisière et que l’univers est fermement établi. Un bon point, aussi, pour le narrateur très rigolo qui permet de rajouter un peu de second degré à l’ensemble.
Il y a cependant plusieurs soucis avec la façon dont cette histoire nous est racontée. Le premier d’entre eux est relatif au doublage : seuls quelques dialogues, et pas forcément les plus importants, en bénéficient, tandis que les autres devront se contenter de deux ou trois interjections vocales lâchées par les personnages. Des interjections, répétitives, agaçantes, et qui donnent envie de couper le son : le comble reste sans doute le personnage principal qui crie “yeaaaah baaaaaby” à chaque fois que l’on accélère sur le mouton – oui, c’est un jeu dans lequel on se déplace à dos de mouton, ce qui est profondément irritant au bout d’environ trente secondes. Dommage, car The Good Life a une idée formelle plutôt intelligente qui consiste à modifier la police et la taille des dialogues pour coller aux émotions des personnnages : pourquoi ne pas s’en être contentés ? Le second problème, plus attendu au vu du budget du jeu, réside dans la mise en scène pauvre et robotique, sans aucun naturel. Dans Deadly Premonition, ça permettait de renforcer l’étrangeté de l’ambiance ; pas sûr que le même objectif ait été visé ici.
Traversée d’animaux : nouveaux horizons
Vous seriez en droit de me demander, à ce stade, que fait-on vraiment dans The Good Life : la réponse est “beaucoup de choses, et en même temps très peu“. Le jeu de Swery semble en effet avoir comme objectif principal de rajouter une couche d’histoire par dessus une simulation de vie classique (pensez Animal Crossing ou Stardew Valley). Toutes les quêtes, optionnelles ou non, que vous devrez accomplir ne feront pas appel à vos capacités (si l’on fait exception de quelques rares énigmes) et se résumeront à “va ici“, “trouve ça“, ce dont le jeu se moque parfois. On fait donc beaucoup d’allers-retours ce qui, malgré des points de fast travel et la possibilité de chevaucher des moutons, s’avère redondant à force, d’autant plus que Naomi n’est pas très endurante.
Mais The Good Life n’est pas pour autant simpliste, non : beaucoup de systèmes s’entrechoquent pour tenter de former une simulation de vie efficace et, à ma grande surprise, ça marche souvent. Les habitants ont leur propre emploi du temps, il vous est possible de rénover votre maison, faire pousser des légumes, cuisiner, gagner de l’argent en publiant des photos sur l’Instagram local grâce aux hashtags qui font le plus de buzz (une petite “quête” très amusante qui se renouvelle deux fois par semaine). Tout cela nous pousse à nous immerger dans ce monde et sa routine relaxante, un peu comme si on était, nous aussi, en train de se reposer dans la campagne anglaise. Bien entendu, tout ne fonctionne pas : on tombe par exemple malade de manière aléatoire, avec des malus handicapants qu’on ne peut résoudre qu’en visitant le vétérinaire local, ce qui coûte beaucoup d’argent. Mais malgré cela, encore une fois, on finit par se faire avoir par la “formule Swery“, et l’on se prend à rêver qu’il ait, un jour, un budget et des équipes à la hauteur de son indéniable talent.
The Good Life, plus belle la vie ?
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Plus polarisant que le verre de mes lunettes
Ridicule, drôle, moche, inventif, relaxant, agaçant… The Good Life va diviser et probablement énerver ceux qui n’arriveront pas à rentrer dans son étrange univers. Pour tous les autres, c’est une balade relaxante d’une douzaine d’heures qui vous attend à Rainy Woods, une balade qui vous réserve de bons moments, de francs éclats de rire et, surtout, la sensation de jouer à un titre qui n’aurait pas pu sortir de l’esprit de quelqu’un d’autre.
Les +
- Personnages attachants
- Univers crédible
- Histoire inventive qui va de plus en plus loin dans l’étrange
- Musiques sympathiques
- Drôle
- Relaxant
- Chouette character design
Les -
- Assez cheum
- Interjections vocales agaçantes
- Personnage lent et peu endurant
- Monde trop grand pour son propre bien
- Mini-jeux insupportables