Triangle Strategy commence par un cliché : le protagoniste, fils d’un important seigneur, vient sauver sa dulcinée des griffes de bandits. Ce qui serait dans un film le climax de l’histoire – le preux chevalier sur un cheval blanc vient délivrer la princesse – n’est ici que le début de l’histoire. Une histoire qui débute très lentement, à coup de longues discussions assez peu intéressantes sur des traités et des alliances. Des peuples qui veulent la paix : comment greffer un bon tactical à cela ? Le nouveau jeu de l’équipe de Tomoya Asano (Octopath Traveler, Bravely Default) opère donc rapidement un virage à 180 degrés, et choisit plutôt de nous montrer que la guerre n’est jamais très loin : il suffit souvent d’un grain de sable pour faire dérailler le train de concorde. Êtes-vous prêts à embarquer pour ce long voyage ? Attachez vos ceintures, passez les voix en VO pour ne plus avoir à supporter ce décevant doublage anglais, et c’est parti.
Tacos trente viandes
Si la référence actuelle du tactical RPG est évidemment Fire Emblem, il vous faudra pour vous lancer dans cette aventure oublier certains automatismes liés à dix-sept ans de pratique sur la série d’Intelligent Systems. Ici, point de mort permanente, de système de pierre-feuille-ciseaux pour décider de l’issue des affrontements, ni d’affinités à faire monter en faisant combattre deux personnages côte-à-côte. Triangle Strategy lorgne vers le classicisme de Final Fantasy Tactics et Tactics Ogre, ses deux références évidentes, en proposant des combats longs, qui se jouent moins sur les stats des personnages que sur la tactique pure et dure. Il va vous falloir étudier le terrain, gérer vos positions, apprendre à attaquer les soigneurs en premier afin de ne pas tomber dans le piège d’une longue guerre de tranchées, aussi. Même en prenant garde à tous ces points, vous allez sans doute subir quelques game over, jamais rédhibitoires car vous pourrez recommencer votre combat juste après en conservant l’expérience acquise. On ne tombe que pour mieux se relever, et il est agréable de voir que le titre trouve cet équilibre consistant à récompenser le beau jeu tout en ne pénalisant pas la défaite. Et si ça ne passe toujours pas, vous aurez toujours accès aux combats bonus, disponibles au campement, qui vous permettront de réviser les bases et faire monter vos personnages en niveau.
Au rayon du roster, d’ailleurs, Triangle Strategy ne brille pas non plus vraiment par son inventivité, tout du moins pas de prime abord. Les personnages de bases répondent tous à des archétypes du genre : l’épéiste puissant, le tank au bouclier, la magicienne de feu, la soigneuse, le cavalier à la lance, l’archère montée sur un faucon… Mais au fur et à mesure de votre avancement dans la partie et de vos choix – j’y reviendrai, des personnages optionnels se débloqueront : de mon MVP Narve, un magicien maniant tous les éléments et capable de lancer des sorts de soins, à un petit robot nommé Decimal qui utilise les mathématiques pour frapper les ennemis, vous aurez du choix et tout intérêt à faire tourner votre équipe, tant chaque situation requiert une approche différente. Au total, c’est une petite trentaine de personnages que vous pourrez avoir à gérer : dans l’optique de vous faciliter quelque peu la tâche, le jeu ne vous permettra pas de fantaisie dans le choix des classes. Chaque allié suivra une trajectoire bien définie, et vous ne pourrez que le faire monter en classe deux fois et améliorer son rang d’arme. Le classicisme, encore et toujours.
Le Trône de Sel
Étant donné que chacun des personnages est très bien défini, autant par sa classe que son comportement sur le terrain, il est légèrement dommage de voir Triangle Strategy tomber par moments dans les travers d’une écriture qui ne laisse assez peu de place à la subtilité. Les cinématiques se multiplient et toutes ne sont pas très utiles : je sais que tel personnage est un gros bourrin car il a des attaques de zone puissantes ; je sais que tel autre personnage est un pleutre car il se réfugie derrière ses soigneurs dès que les choses se corsent. Il n’était pas nécessaire d’expliquer ça outre mesure. De manière générale, c’est un des principaux défauts d’un titre visiblement destiné aux adultes mais qui, souvent, semble les prendre pour des enfants de six ans en répétant et soulignant les situations pour être sûr que tout le monde ait bien compris où il voulait en venir. Un problème surtout présent en début de jeu, et qui pourra décourager certains de poursuivre l’aventure – en cela, je ne suis pas sûr que la mise à disposition d’une démo ait fait beaucoup de bien aux ventes.
C’est dommage, car une fois que le rythme de croisière est atteint (aux alentours du chapitre VI), l’histoire progresse de manière beaucoup plus fluide et devient même très prenante, aidée par un doublage japonais au cordeau. J’ai ri, été surpris et même pleuré, ce qui n’était pas gagné au vu des premières heures et de la mise en scène souvent un peu statique. Comme Fire Emblem avant lui, Triangle Strategy surfe à plein tube sur la nouvelle vague de la hard fantasy popularisée par Game of Thrones, sans néanmoins tomber dans le cynisme et la noirceur du récit de G.R.R. Martin. Oui, il y aura des trahisons et des révélations terribles, mais le récit laisse aussi un peu de place à la lumière en présentant des personnages résolument bons, se rapprochant en cela un peu plus du Seigneur des Anneaux, autre référence du genre. Ce n’est pas tellement l’homme qui est mauvais : ce sont les circonstances, la recherche de compromis, les idéaux ou la foi qui le corrompent. Quel est le camp du mal et quel est le camp du bien ? Impossible de le savoir, tant chacun a ses raisons – bon, on a quand même le droit à un gros méchant au rire diabolique.
Référendum d’Initiative Aristocratique
Des raisons d’agir, vous en aurez aussi : dans ce qui est sans doute sa meilleure idée narrative, Triangle Strategy vous demandera vous aussi de faire des choix, qui auront une influence majeure sur votre aventure. D’abord via les interactions quotidiennes et les comportements de Serenor, le personnage que vous incarnez, qui le positionneront de plus en plus sur l’une des trois voies du jeu : la morale, la liberté ou le pragmatisme. L’intelligence est de ne jamais expliciter directement sur laquelle d’entre elles vous vous trouvez : la stratégie est sur le champ de bataille, mais Serenor répond toujours avec son cœur. Tout cela culmine en des phases de vote, qui représentent autant d’embranchements pour l’histoire, dans lesquelles vous devrez essayer de faire pencher les personnages vers la décision qui vous semble la meilleure avant qu’ils ne décident via un référendum quelle voie emprunter. Il n’y a jamais de vraie bonne option : j’ai pour ma part toujours essayé d’opter pour la solution la plus juste, ce qui m’a conduit vers une fin douce-amère (petit indice, pour savoir si vous avez eu la même que moi) qui m’a fait verser des larmes durant de longues minutes. Tout ceci incite évidemment à la rejouabilité, afin d’explorer tout ce que le jeu a à nous proposer.
Enfin, est-il possible de conclure ce test sans mentionner la présentation de Triangle Strategy ? Le rendu HD-2D (que vous n’avez pas fini de voir), introduit dans Octopath Traveler, est toujours aussi splendide et permet de sublimer la 3D isométrique, tout en laissant à la caméra le loisir de se balader autour de vos personnages, ce qui permet aux développeurs un peu plus de liberté dans le level design des terrains, sans jamais perdre le joueur. La maîtrise du moteur permet de plus aux équipes d’aller un peu plus loin dans le travail des lumières, pour conférer à chaque scène un cachet indéniable : que vous adhériez au gameplay ou non, dur de rester insensible face à la beauté du jeu. Impossible, non plus, de rester de marbre à l’écoute de la bande-son d’Akira Senju, compositeur classique et vétéran de la japanime (Full Metal Alchemist: Brotherhood, Tales of Vesperia: The First Strike…) qui a su parfaitement retranscrire l’ambiance du jeu en musique et nous offre bon nombre de compositions mémorables qui ne manqueront pas de se frayer une place dans vos playlists.
petit mais déjà grand
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Le minot qui joue dans la cour des grands - 80%80%
Le minot qui joue dans la cour des grands
Est-ce que Triangle Strategy connaîtra le succès et deviendra un nouveau classique du tactical RPG ? Seul l’avenir nous le dira. Mais avec son histoire prenante et poignante de peuples qui se font la guerre autour de ressources limitées, son approche classique et néanmoins agréable du genre, son style graphique charmant et sa musique formidable, nous avons là affaire à une grande aventure qui devrait en marquer plus d’un. Au delà d’un simple hommage respectueux aux cadors, le titre de Square Enix apporte qui plus est sa pierre à l’édifice, avec ce système de choix diablement efficace pour arriver à impliquer émotionnellement les joueurs.
Les +
- Très tactique
- Cinq niveaux de difficulté
- Approche non-punitive de la défaite
- Des choix qui influent vraiment sur l’histoire
- Un jeu qui a une sacrée gueule
- Toujours lisible, même en portable
- La musique est folle
Les -
- De longs tunnels de blabla pas forcément utiles, surtout au début
- Voix anglaises pas au niveau
- Mise en scène peu naturelle sur les scènes de foule